Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/250

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verse, et ne pas se considérer comme des rivaux qui briguaient les applaudissements publics.

Il ne faut pas oublier non plus que Menie Grey était devenue une des plus jolies filles non-seulement de Middlemas, mais encore de tout le comté. Ce fait avait été établi par une preuve décisive. À l’époque des courses de chevaux, on voyait ordinairement se rassembler dans le bourg une petite société de gens comme il faut, qui venaient des environs, et quelques bourgeois peu aisés se créaient un petit revenu en louant leurs maisons, en tout ou en partie, pour la fameuse semaine. Tous les thanes et toutes les thanesses[1] de campagne ne manquaient pas d’accourir à ces occasions ; et tel était le nombre des chapeaux pointus et des robes de soie, que la petite ville semblait pour quelques jours avoir changé d’habitants. En cette circonstance, les personnes d’une certaine qualité seulement pouvaient faire partie des bals de nuit qui étaient donnés dans la vieille Maison de Ville, et la ligne de démarcation en excluait la famille de M. Grey.

L’aristocratie pourtant usait de son privilège avec quelques sentiments de déférence pour les élégants et les élégantes du bourg, qui jouissaient de la faveur d’entendre d’excellente musique, sans qu’il leur fût permis de danser… Une soirée dans la semaine des courses, appelée le bal des chasseurs, était consacrée à l’amusement général et exempte des restrictions ordinaires de l’étiquette. En cette occasion, toutes les familles respectables de l’endroit étaient invitées à participer aux plaisirs de la soirée, à admirer l’élégance des nobles du pays, et à se montrer reconnaissants de leur condescendance. C’était surtout aux dames qu’on envoyait ces invitations ; car le nombre de celles qui étaient adressées aux messieurs du bourg était beaucoup plus restreint. Or, dans cette réunion générale, la beauté de miss Grey et l’élégance de sa tournure l’avaient incontestablement placée, dans l’opinion de tous les juges compétents, en tête de toutes les danseuses.

Le laird de l’illustre et ancienne maison de Louponheight[2] n’hésita point de lui donner la main pendant la plus grande partie de la soirée ; et sa mère, renommée par la rigueur qu’elle mettait à garder les distinctions de rang, plaça la petite plébéienne à côté d’elle au souper, on l’entendit même assurer que la fille du chi-

  1. Thane veut dire chef, comme on l’a vu dans Ivanhoe. a. m.
  2. Expression idéale, formée de trois mots : loup, saut ; on, sur ; et height, hauteur.