Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/233

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riche pour être décemment élevé et faire son chemin dans le monde, et je peux lui apprendre une honorable et utile profession. Ce sera plutôt un amusement qu’une peine pour moi, et j’ai besoin de faire quelques observations sur les maladies des enfants, par lesquelles devra passer, Dieu aidant, le marmot confié à mes soins. Et puisque le ciel ne nous a pas envoyé de famille… »

— Mais, mais, vous êtes bien pressé… Il n’y a pas encore si long-temps que vous êtes mariés… Mistress Grey, que mon badinage ne vous mette pas en fuite… Nous accepterions bien une tasse de thé, car le docteur et moi nous ne sommes point trop amis de la bouteille. »

Quatre ans après cette conversation, arriva l’événement à la possibilité duquel le clerc du bourg avait fait allusion ; et Mistress Grey fit cadeau d’une fille à son mari. Mais le bien et le mal sont étrangement mêlés dans ce monde sublunaire. L’accomplissement de ce vif désir de postérité qui s’était emparé du docteur, fut accompagné de la perte de sa simple et bonne femme. C’était un des plus rudes coups dont le destin pouvait frapper Grey, et la désolation entra sous son toit par suite de l’événement qui promettait, depuis plusieurs mois, d’introduire de nouvelles jouissances dans son humble demeure. Grey supporta ce malheur, comme un homme plein de fermeté et de bon sens supporte un coup dont il n’espère jamais se remettre entièrement. Il remplissait les devoirs de son état avec la même ponctualité ; il était calme et même en apparence enjoué dans ses relations avec le monde ; mais l’astre qui éclairait son existence s’était éclipsé. Chaque matin, il n’entendait plus ces conseils affectueux qui lui recommandaient de faire attention à sa propre santé, tandis qu’il travaillait pour rétablir celle de ses malades. Chaque soir, lorsqu’il revenait de sa fatigante tournée, ce n’était plus avec la certitude du tendre et doux accueil qu’il recevait toujours d’une compagne empressée de raconter tous les petits événements du jour ou avide d’en écouter le récit. L’air qu’il avait coutume de siffler sur un ton si joyeux et si fort, lorsqu’il apercevait le clocher de Middlemas, ne se faisait plus entendre, et le cavalier n’allait plus que la tête baissée, tandis que le cheval fatigué, ne sentant plus ni la main ni la voix de son maître qui l’aiguillonnaient, paraissait ralentir sa marche comme s’il eût partagé son découragement. Parfois M. Grey était si abattu, qu’il ne pouvait pas même endurer la présence de sa petite Menie ; car il retrouvait tous les traits de la