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de cette dame en parlant français. N’oubliez pas qu’il faut satisfaire ses désirs en tout point… Si les moyens vous manquent, vous pouvez vous adresser à moi.

— Puis-je demander, monsieur, quel est le nom que cette dame… ?

— Inutile pour le moment, interrompit l’étranger ; vous le connaîtrez plus à loisir.

En parlant ainsi, il s’enveloppa de son ample manteau, et, pour favoriser cette opération, il décrivit un demi-cercle avec un air que le docteur aurait trouvé difficile d’imiter ; puis descendit la rue pour gagner la petite auberge. Là, il paya et renvoya les postillons, puis s’enferma dans une chambre, défendant qu’on ne laissât entrer personne, à moins que le docteur ne se présentât.

Lorsque M. Grey revint à l’appartement de la malade, il trouva sa femme en proie à une grande surprise : comme cela arrive souvent aux personnes de son caractère, qui n’était pas sans un mélange de crainte et d’inquiétude.

« Elle ne peut dire un mot comme un être chrétien, dit mistress Grey.

— Je le sais, répliqua le docteur.

— Mais elle s’obstine à garder un masque noir sur sa figure, et crie quand nous voulons le lui ôter.

— Eh bien alors ! laissez-le-lui… Quel mal cela fait-il ?

— Quel mal, docteur ! une honnête femme accoucha-t-elle jamais avec un masque sur le visage ?

— Rarement, peut-être. Mais, ma chère Jane, il faut accoucher celles qui ne sont pas tout à fait honnêtes de même que celles qui le sont entièrement, et nous ne devons pas exposer la vie de cette malheureuse en contrariant ses caprices. »

Il s’approcha du lit de la malade et remarqua qu’elle portait, en effet, un masque fort mince, en soie, du genre de ceux qui rendent de si importants services dans les vieilles comédies : certaines femmes de distinction en portaient même encore de pareils pour voyager, mais jamais certainement dans la position de cette pauvre dame. Il était visible qu’elle avait éprouvé des importunités à ce sujet, car, lorsqu’elle aperçut le docteur, elle porta la main à son visage, comme si elle craignait qu’il n’insistât pour lui enlever son masque. Il se hâta de dire, en français passable, que la volonté de madame serait une loi, sous tous les rapports, et qu’elle était en parfaite liberté de garder son masque