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INTRODUCTION.

dans les œuvres des auteurs en question. Ce serait imiter le docteur Watts et quelques autres graves personnages qui ont bouleversé des bibliothèques pour retrouver des stances dont le romancier était seul responsable.

Pendant que je suis dans le confessionnal, le lecteur attend sans doute de moi que je lui explique les motifs qui m’ont fait persister si long-temps à désavouer les ouvrages que je reconnais maintenant. Il me serait difficile de faire à ceci d’autre réponse que celle du caporal Nym[1] : c’était pour le moment mon caprice, ou mon humeur. Je ferai un aveu d’indifférence qui, je l’espère, ne m’attirera pas le reproche d’ingratitude envers le public, à l’indulgence duquel je suis bien plus redevable de cette espèce de sang-froid qu’à mon faible mérite : j’avouerai, dis-je, que, comme auteur, j’ai mis et mets bien moins d’importance à réussir ou à échouer, que la plupart de ceux qui écrivent ; mes confrères, en général, sont plus avides que moi de gloire littéraire, probablement parce qu’ils y ont de plus justes titres. Ce ne fut qu’après avoir atteint l’âge de trente ans que je fis sérieusement des efforts pour me distinguer comme écrivain, et l’on sait que, à cette époque, les espérances, les désirs et les penchants de l’homme ont acquis quelque chose de trop décisif pour qu’on puisse aisément les détourner de la pente qu’ils ont prise. Lorsque je fis la découverte (car c’en fut vraiment une pour moi) qu’en me livrant à une occupation délicieuse je pouvais aussi amuser les autres ; lorsque je m’aperçus en outre que mes travaux littéraires allaient absorber la plus grande partie de mon temps, j’éprouvai d’abord quelque crainte de me voir livré à ces sentiments d’humeur et de jalousie qui ont obscurci et même dégradé quelquefois le caractère des hommes de lettres les plus célèbres, et les ont rendus, par leurs petites querelles et leur muette irritabilité, la risée des gens du monde. Je résolus donc sur ce point de cuirasser mon cœur (peut-être un critique mordant ajouterait-il mon front) d’un triple airain, et d’éviter autant que possible, de faire d’un succès littéraire l’objet de mes pensées et de mes vœux, de crainte que la paix de mon âme et le repos de ma vie ne se trouvassent compromis si je venais à échouer. On pourrait me croire tombé dans une apathie stupide, ou une affection ridicule, si je disais que j’ai été insensible à l’approbation du public, quand il m’a fait l’honneur de m’en donner les témoignages. J’apprécie bien plus hautement

  1. Shakspeare, Henri V. a. m.