Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meilleurs que ceux de l’infortunée famille à laquelle il les disputait. Mais brisons là. Le carnage fut d’autant plus terrible, que la rivière rapide et profonde de l’Awe, que vomit le lac, et qui entoure le pied de l’immense montagne, fermait le passage aux fuyards, et que la nature inaccessible du lieu, qui avait semblé d’abord leur promettre défense et protection, contribua à couper la retraite de tous côtés aux malheureux fugitifs.

Méditant, comme la dame irlandaise dans la ballade, « sur les choses passées depuis long-temps[1], » je supportai sans impatience la lenteur extrême avec laquelle Donald nous fit presque grimper pas à pas le long de la route militaire qui porte le nom du général Wade[2], route qui jamais, ou presque jamais, ne se détourne pour éviter la montée la plus rapide, mais qui s’avance en droite ligne, de bas en haut et de haut en bas, avec la même indifférence qu’avaient les ingénieurs romains pour les hauteurs ou les profondeurs, les terrains escarpés ou nivelés. L’excellence réelle de ces travaux importants (car c’est ainsi que l’on peut nommer les grandes routes militaires tracées dans les montagnes) a pourtant mérité l’éloge bizarre d’un certain poète qui, soit qu’il revînt de la contrée, sœur de la Grande-Bretagne[3], et qu’il en parlât le dialecte, soit qu’il pensât que ceux auxquels il s’adressait, avaient quelques prétentions nationales au don de seconde vue, composa ces vers bien connus :


Si vous aviez vu ces chemins
Avant qu’on en ouvrît la trace,
Au ciel vous lèveriez vos mains,
À Wade vous rendriez grâce.


Rien, en effet, ne peut être plus surprenant que de voir ces solitudes sauvages percées et ouvertes dans toutes les directions par des routes larges, bien construites, et si supérieures à tout ce que le pays aurait pu demander pendant des siècles, dans le but pacifique d’établir une communication commerciale. C’est ainsi que les traces de la guerre servent quelquefois heureusement aux besoins de la paix. Les victoires de Bonaparte ont été sans résultats ; mais sa route sur le Simplon servira long-temps

  1. Ce vers est tiré d’une ballade fort touchante que j’ai entendu chanter par une des jeunes ladies d’Edgeworthstown, en 1825. Je ne crois pas que ce morceau ait été imprimé. a. m.
  2. Le premier qui ait tracé des routes militaires dans le nord de l’Écosse. a. m.
  3. C’est-à-dire l’Irlande : allusion à l’espèce de naïveté irlandaise (irish blunder) que renferme celle supposition qu’une chose soit vue avant d’être faite. a. m.