Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/100

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Nous étions si bien habituées à cette manière d’agir, que, lorsqu’il s’excusait, en parlant de la nécessité où il serait probablement de s’arrêter dans quelque endroit solitaire et étrange, pour faire manger l’avoine à ses chevaux, chose dont il avait toujours soin d’être muni, notre imagination, éveillée par cette précaution même, s’efforçait de deviner d’avance la retraite romantique et pittoresque qu’il nous avait destinée en secret pour lieu de repos.

Nous avions passé la plus grande partie de la matinée au délicieux village de Dalmally ; nous nous étions promenées sur le lac, conduites par l’excellent ministre qui desservait alors Glenorquhy, et nous avions entendu raconter cent histoires sur les chefs redoutables de Loch-Awe, Duncan à la toque de laine, et les autres seigneurs des tours de Klichurn, qui tombent aujourd’hui en poussière. Aussi, était-il plus tard que de coutume lorsque nous nous remîmes en marche, après avoir été averties une ou deux fois par Donald de la longueur du chemin jusqu’au premier relai. En effet, entre Dalmally et Oban, il n’y avait aucun endroit où l’on pût s’arrêter.

Après avoir dit adieu à notre bon et respectable cicérone, nous remontâmes en voiture. Nous tournâmes d’abord autour de l’effrayante montagne nommée Cruachan-Ben, dont les rochers majestueux et sauvages s’avancent sur le lac, ne laissant pour passer à leur pied qu’un étroit défilé : c’est là que, malgré l’avantage de la position, le clan belliqueux de Mac Dougal de Lorn fut détruit par l’habile Hubert Bruce. Ce roi, le meilleur général de son temps[1], accomplit par une marche forcée une manœuvre inattendue : il fit monter un corps de troupes sur le côté opposé de la montagne, et le plaça ainsi sur le flanc et l’arrière des gens de Lorn, tandis qu’il les attaqua de front. Le grand nombre de vieilles tombes que l’on voit encore vers le côté occidental, en descendant le défilé, prouve jusqu’où s’étendit la vengeance que Bruce épuisa sur ses ennemis personnels et invétérés. Sœur de soldats, comme vous savez, je n’ai pu m’empêcher, en écoutant le récit de Donald, d’être frappée de l’idée que cette manœuvre a dû ressembler à celles de Bonaparte. C’était un grand homme que Robert Bruce, un Baliol même doit l’avouer, bien que l’on commence à reconnaître aujourd’hui que ses droits à la couronne n’étaient guère

  1. The Wellington of his day, le Wellington de son temps, dit le texte. L’adulation, il faut en convenir, est ici un peu forte. a. m.