Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

troubadours les écoutaient en soupirant. Les paroles n’avaient pas assez de sentiment, d’esprit et d’imagination pour détourner l’attention de la musique, et la musique n’était pas assez savante pour couvrir le vide des paroles et en détruire l’effet. La chanson et la musique semblaient tellement avoir été faites l’une pour l’autre, que si les vers eussent été récités sans les notes, ou l’air joué sans les paroles ; ni la chanson ni la musique, ainsi prises séparément, n’auraient mérité la moindre attention. Nous devrions donc nous justifier du reproche qu’on pourrait nous faire de consigner ici des vers qui n’ont été faits ni pour être récités, ni pour être lus, mais seulement pour être chantés ; cependant, comme les lambeaux d’ancienne poésie ont toujours eu pour nous un attrait irrésistible ; comme, d’ailleurs, l’air est perdu pour toujours, à moins que Bishop[1] n’en retrouve par hasard la musique, ou que quelque rossignol n’enseigne à Stephens[2] à la gazouiller, nous ne reculons pas devant le risque de compromettre notre crédit et le goût de la dame du luth, en conservant ces vers, quelque simples et quelque dépourvus d’ornement qu’ils puissent paraître.


LE COMTE GUY.

Ah, comte Guy ! l’heure est prochaine,
Le soleil a fui l’horizon ;
La fleur de l’oranger parfume le vallon,
La brise court sur la limpide plaine ;
L’alouette, qui tout le jour
A gazouillé son lai d’amour,
Auprès de sa compagne est muette et s’endort.
L’oiseau, la fleur, la brise, obéissent à l’heure ;
Mais loin de moi le comte Guy demeure :
Où donc est-il ? quel peut être son sort ?
La jeune fille du village
Furtivement se glisse sous l’ombrage ;
Pour écouter un langoureux berger ;
Près d’une jalousie, à la beauté timide,
Un chevalier courtois qu’amour sut engager,
Vient chanter et sa flamme et l’astre qui le guide.
L’étoile de Vénus, sur la terre et les airs,
Règne du haut des cieux entre les feux divers.
Le riche et l’indigent ressentent sa puissance.
Mais l’heureux comte Guy, dont je crains l’inconstance,
Où donc est-il pour ouïr mes concerts ?

Quoi que le lecteur puisse penser de cette chanson si naïve, elle produisit un effet magique sur Quentin, lorsqu’il l’enten-

  1. Compositeur anglais. a. m.
  2. Cantatrice d’un des théâtres de Londres. a. m.