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lui remit d’un air froid et pensif, tandis que d’un regard timide et inquiet, elle observait les yeux du bourgeois courroucé. Il n’était pas dans la nature que l’on pût résister à la vive expression de ces yeux qui semblaient implorer la pitié, et maître Pierre continua, non seulement d’un ton qui prouvait que son mécontentement était apaisé, mais encore avec autant de douceur que sa figure et ses paroles pouvaient en exprimer : « Ce n’est pas toi que je blâme, Jacqueline, et tu es trop jeune pour être ce qu’il est cruel de penser que tu dois être un jour, c’est-à-dire fausse et perfide comme le reste de ton sexe frivole : personne n’est parvenu à l’âge d’homme sans avoir eu l’occasion de vous connaître. Voici un cavalier écossais qui te dira la même chose. »

Jacqueline jeta un coup d’œil sur l’étranger, comme pour obéir à maître Pierre ; mais tout rapide qu’il fut, ce coup d’œil parut à Durward un appel à sa protection et à sa sympathie. Avec une promptitude naturelle à un jeune homme et le respect romanesque pour le beau sexe que lui avait inspiré son éducation, il s’empressa de répondre qu’il jetterait le gant à tout antagoniste de son rang et de son âge qui oserait dire qu’une figure telle que celle qui était maintenant devant ses yeux pouvait être animée par autre chose que l’âme la plus pure et la plus sincère.

Le visage de la jeune personne se couvrit d’une pâleur mortelle ; elle jeta un regard craintif sur maître Pierre, à qui la bravade du jeune galant parut n’inspirer qu’un sourire de mépris plutôt que d’approbation. Quentin, dont la seconde pensée corrigeait ordinairement la première, bien que ce ne fût quelquefois qu’après l’avoir exprimée, rougit fortement d’avoir prononcé quelques mots qui pouvaient être regardés comme une vaine fanfaronnade, en présence d’un vieillard dont la profession était toute pacifique ; et comme pour offrir une juste réparation, proportionnée à son étourderie, il résolut de se soumettre avec résignation au ridicule qu’il avait encouru. Il présenta la coupe et le plateau à maître Pierre, avec un air confus et humilié qu’il s’efforçait vainement de déguiser par un sourire qui faisait ressortir encore son embarras.

« Vous êtes un jeune fou, lui dit maître Pierre, et vous connaissez aussi peu les femmes que vous connaissez les princes, dont Dieu, » ajouta-t-il en faisant dévotement un signe de croix, « tient les cœurs dans sa main. — Et qui donc tient ceux des femmes ? » répondit Quentin résolu, s’il pouvait l’éviter, à ne pas se laisser subjuguer par la supériorité qu’exerçait sur lui ce vieil-