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marchand de grains, et cet homme-ci un boucher ou un herbageur[1].

— Vous avez admirablement deviné nos professions. La mienne est effectivement de trafiquer sur l’argent autant que je peux, et celle de mon compère a quelque analogie avec celle de boucher. Quant à ce qui est de vous mettre dans un meilleur état, nous tâcherons de vous être utiles ; mais, d’abord, il faut que je sache qui vous êtes et où vous allez ; car, dans ces temps-ci, les routes sont couvertes de voyageurs à pied et à cheval, dont la tête est remplie de toute autre chose que de principes d’honnêteté et de crainte de Dieu. »

Le jeune homme jeta un autre coup d’œil vif et perçant sur celui qui lui parlait ainsi et sur son compagnon silencieux, comme incertain si, de leur côté, ils méritaient la confiance qu’ils lui demandaient ; et voici quel fut le résultat de ses remarques.

Le plus âgé de ces deux hommes, celui qui par son costume et par sa tournure se faisait le plus remarquer, ressemblait beaucoup à un négociant ou à un marchand de cette époque. Sa jaquette, son haut-de-chausses et son manteau étaient d’une même étoffe, de couleur brune, mais montrant tellement la corde que le spirituel et malin Écossais en conclut qu’il fallait que celui qui les portait fût très-riche ou très-pauvre, et il penchait vers la première hypothèse. Ses vêtements étaient étroits et courts, mode qui n’était pas encore suivie par la noblesse, ni même par la classe supérieure des citoyens, dont ordinairement les habits étaient amples et descendaient plus qu’à mi-jambe.

L’expression de la physionomie de cet homme était tout à la fois attrayante et repoussante : ses traits prononcés, ses joues caves et ses yeux enfoncés avaient néanmoins un air de finesse et de gaieté qui se rapprochait du caractère du jeune aventurier ; mais, d’un autre côté, ses épais sourcils noirs avaient quelque chose d’imposant et de sinistre. Peut-être cet effet était-il rendu plus sensible encore par le chapeau à forme basse, en fourrure, qui, lui couvrant une grande partie du front, rendait plus épaisse l’ombre sous laquelle on voyait briller ses yeux ; mais il est certain que le jeune étranger éprouva quelque difficulté à concilier le regard de cet homme avec la condition inférieure à laquelle il paraissait appartenir. Son chapeau surtout, partie du costume sur laquelle toute personne d’un certain rang étalait quelque joyau en or ou en ar-

  1. Ce mot, comme il sera expliqué plus bas, signifie nourrisseur de bestiaux. a. m.