Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tachant à ses vêtements, s’écria : « Par l’honneur de votre mère, ne me laissez pas ici ! Si vous êtes un véritable gentilhomme, reconduisez-moi à la maison de mon père, qui vous a servi d’asile ainsi qu’à la comtesse Isabelle ! Pour l’amour de cette jeune dame, ne m’abandonnez pas ! »

Cette prière, prononcée avec le désespoir de l’agonie, était irrésistible. Disant adieu, avec une amertume de cœur inexprimable, aux brillantes espérances qu’il avait nourries dans ce jour de carnage, et qui semblaient s’évanouir au moment même où elles allaient se réaliser, Quentin, semblable à un esprit qui obéit à un talisman dont l’influence le pousse malgré lui, reconduisit Gertrude jusqu’à la maison de son père, où il arriva à temps pour la protéger, ainsi que le syndic Pavillon lui-même, contre la fureur d’une soldatesque effrénée.

Cependant le roi et le duc de Bourgogne entraient à cheval dans la ville par une des brèches. Tous deux étaient armés de pied en cap ; Charles, couvert de sang depuis son panache jusqu’à ses éperons, poussa son coursier avec fureur à travers cette brèche, tandis que Louis la franchissait du pas mesuré d’un pontife qui marche à la tête d’une procession. Après avoir envoyé des ordres pour arrêter le sac de la ville qui venait de commencer, et pour rassembler leurs troupes dispersées, ils se rendirent dans la cathédrale, tant pour protéger un grand nombre d’habitants de distinction à qui elle avait servi d’asile, que pour y tenir une sorte de conseil de guerre, après toutefois y avoir entendu une grand’messe.

Occupé, comme l’étaient les autres officiers de son rang, à réunir les soldats placés sous ses ordres, lord Crawford, au détour d’une des rues qui conduit à la Meuse, rencontra le Balafré qui se dirigeait vers la rivière avec un air et une démarche remplis de gravité, portant à la main, avec autant d’indifférence qu’un chasseur porte une gibecière, une tête d’homme qu’il avait saisie par sa chevelure ensanglantée. — Hé bien ! Ludovic, lui dit son commandant, que voulez-vous donc faire de cette charogne ? — C’est le reste d’une besogne que mon neveu avait assez bien commencée, et à laquelle je viens de mettre la dernière main, répondit le Balafré : un brave garçon que j’ai dépêché là-bas, et qui m’a prié de jeter sa tête dans la Meuse. On voit des gens qui ont de singulières idées quand la vieille au petit dos les agrippe, cette vieille qui, bon gré mal gré, nous force à danser chacun à notre tour. —