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même des comtesses parmi elles, pardonneront à Isabelle d’avoir en cette circonstance dérogé à sa dignité.

Cependant Isabelle, après avoir dégagé sa main de celle de Durward, recula à un pas de distance de la grille, et lui demanda d’un ton fort embarrassé : « Eh bien ! quelle demande avez-vous à me faire ? j’ai appris du vieux seigneur écossais qui est venu tout-à-l’heure avec mon cousin de Crèvecœur que vous voulez obtenir quelque chose de moi. Si votre demande est raisonnable, et telle que la pauvre Isabelle puisse l’accorder sans manquer à l’honneur, disposez de mon faible pouvoir. Mais… ne vous pressez pas de parler, » ajouta-t-elle en promenant autour d’elle un regard craintif ; « ne dites rien qui puisse nous compromettre, ni vous ni moi, si l’on vous entendait. — Ne craignez rien noble dame, » répondit Quentin avec tristesse ; « ce n’est pas ici que je puis oublier la distance que le destin a mise entre nous, ni vous exposer au blâme de vos orgueilleux parents, comme l’objet de l’amour d’un homme moins riche, moins puissant, mais peut-être non moins noble qu’eux-mêmes. Que tout cela passe comme un songe pour tout le monde, excepté pour le seul cœur où ce songe doit tenir la place de toutes les réalités. — Taisez-vous ! taisez-vous ! pour l’amour de vous, pour l’amour de moi, ne parlez pas ainsi. Dites-moi promptement ce que vous avez à me demander. — Le pardon d’un homme qui, dans des vues d’intérêt personnel, s’est conduit en ennemi à votre égard. — Je crois que je pardonne à tous mes ennemis. Mais, ô Durward, au milieu de quelles scènes votre courage et votre sang-froid m’ont protégée !… Cette salle sanglante !… ce bon évêque… Je n’ai appris qu’hier la moitié des horreurs dont j’ai été témoin sans le savoir. — N’y pensez plus, » dit Quentin, qui remarqua que les couleurs dont les joues d’Isabelle étaient couvertes au début de leur entretien, faisaient place à la pâleur de la mort, « et ne jetez pas un regard en arrière, mais envisagez l’avenir avec assurance, comme doivent faire ceux qui marchent dans un chemin périlleux. Écoutez-moi. Le roi Louis ne mérite de personne plus que de vous d’être proclamé ce qu’il est véritablement, un insidieux et rusé politique ; mais si vous l’accusez d’être le provocateur de votre fuite, et surtout l’auteur du plan conçu pour vous faire tomber entre les mains de Guillaume de la Marck, vous prononcerez la déchéance, peut-être même la mort de ce monarque, ou du moins vous allumerez entre la France et la Bourgogne la guerre la plus sanglante que