Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/411

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fection à la jeune comtesse Isabelle de Croye, le duc espère que Votre Majesté voudra bien consentir à ce mariage, et se joindre à lui pour doter le noble couple d’un apanage capable de former, avec les domaines de la comtesse, un établissement digne d’un fils de France. — Jamais ! jamais ! » s’écria le roi ; laissant éclater la colère qu’il n’avait contenue qu’avec peine, et s’abandonnant à un mouvement désordonné qui formait le contraste le plus frappant avec le sang-froid qu’il savait si bien affecter ordinairement. « Jamais ! jamais ! Qu’on apporte des ciseaux, et qu’on me tonde comme un fou de paroisse avec lequel j’ai tant de ressemblance aujourd’hui ! qu’on ordonne au cloître ou à la tombe de s’ouvrir pour moi ! qu’on apporte un fer rouge pour me dessécher les yeux ! qu’on emploie contre moi la hache, la ciguë, tout ce que l’on voudra : mais d’Orléans ne rompra pas la foi qu’il a jurée à ma fille ; il n’aura pas d’autre épouse, tant qu’elle vivra. — Avant de se prononcer si fermement contre ce projet, Votre Majesté considérera l’impossibilité où elle est de s’y opposer. Un homme sage qui voit se détacher un quartier de rocher n’entreprend pas de faire d’inutiles efforts pour en retarder la chute. — Mais du moins un homme de cœur trouve un tombeau sous ses débris… D’Argenton, songez qu’un tel mariage amènera la ruine, la destruction complète de mon royaume ; songez que je n’ai qu’un fils d’une santé débile, et qu’après lui d’Orléans est le plus proche héritier du trône. Considérez que l’Église a consenti à son union avec Jeanne, union qui concilie si heureusement les intérêts des deux branches de ma famille. Songez aussi que cette union a été le projet favori de toute ma vie ; que j’ai médité, combattu, veillé, prié, péché même, pour la préparer. Non, Philippe, non, je n’y renoncerai pas ; aussi vrai que vous êtes un honnête homme ! Ayez compassion de moi dans cette extrémité. Votre génie inventif peut trouver quelque équivalent à ce sacrifice, quelque bélier à offrir en échange de ce qui m’est aussi cher que son fils unique l’était au patriarche. Ayez pitié de moi, Philippe ; vous, du moins, vous devez savoir que pour un homme doué de jugement et de prévoyance, la destruction du plan qu’il a long-temps mûri, et pour lequel il a long-temps travaillé, est infiniment plus douloureuse que ne le sont au commun des hommes les peines qui résultent du renversement de leurs éphémères desseins, nés de quelques passions fugitives. Vous qui savez sympathiser avec les douleurs plus profondes et plus aiguës de la pru-