Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/381

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quel point le duc de Bourgogne doit être courroucé de l’horrible assassinat commis sur la personne de son proche parent, de son allié ; vous seul aussi savez quels motifs il peut avoir de croire que les auteurs de ce crime ont agi à l’instigation des émissaires de Votre Majesté. Mais mon maître a une noblesse de caractère qui le rend incapable, même au plus fort de sa colère, d’employer la trahison. Quelque détermination qu’il prenne, il l’exécutera au grand jour et en face des deux peuples. Et je ne puis qu’ajouter que le désir de tous les conseillers qui l’entourent, peut-être à l’exception d’un seul, est qu’il se conduise en cette occasion avec autant de douceur et de générosité que de justice. — Ah ! Crèvecœur, dit Louis en lui prenant la main, comme s’il eût été affecté par quelque souvenir pénible, « qu’il est heureux le prince qui a près de sa personne des conseillers capables de le prémunir contre ses passions et contre leurs suites ! Leurs noms seront écrits en lettres d’or dans l’histoire de son règne. Oh ! si ma bonne étoile eût voulu que j’eusse eu près de moi des hommes tels que toi, Crèvecœur… — Alors, dit le Glorieux, Votre Majesté n’aurait eu d’autre soin que de s’en débarrasser au plus vite. — Ah ! ah ! sieur de la Sagesse, êtes-vous donc là ? » dit Louis en se retournant et en quittant le ton pathétique avec lequel il parlait au comte pour le remplacer aussitôt, avec une étonnante facilité, par un autre qui pouvait presque passer pour de la gaieté ; « nous avez-vous donc suivis jusqu’ici ? — Oui, Sire ; la Sagesse doit suivre en vêtements bigarrés, quand la Folie marche en avant couverte de la pourpre. — Comment dois-je interpréter ces paroles, sire Salomon ? Voudrais-tu changer de place avec moi ? — Non, sur mon âme, Sire ! quand même vous me donneriez cinquante couronnes en retour. — Et pourquoi cela ? D’après ce que sont les princes aujourd’hui, il me semble que je pourrais me contenter de t’avoir pour roi. — Je ne dis pas le contraire, Sire ; mais la question est de savoir si, jugeant de l’esprit de Votre Majesté d’après le logement qu’il lui a procuré ici, je ne devrais pas être honteux d’avoir un fou si stupide. — Silence ! monsieur le drôle ! s’écria le comte de Crèvecœur ; votre langue se donne trop de liberté. — Laissez-le parler tout à son aise, dit le roi ; je ne connais pas de sujet de railleries plus juste que les folies de ceux qui devraient se montrer les plus sages. Tiens, mon judicieux ami, prends cette bourse d’or, et reçois en même temps un bon conseil, c’est-à-dire, de ne jamais être assez fou pour te croire plus sage que les autres.