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lui eussent volontiers fait observer que le moment n’était propice ni pour entendre des nouvelles, ni pour tenir conseil, cependant ils connaissaient trop bien la fougue de son caractère pour hasarder la moindre objection ; chacun demeura dans une attente inquiète des nouvelles que le comte devait communiquer.

Après un court intervalle durant lequel le duc resta les yeux impatiemment fixés sur la porte, tandis que les convives tenaient les leurs attachés sur la table, comme pour cacher leur curieuse anxiété, Louis seul conservait un sang-froid impassible et continuait de causer alternativement avec l’écuyer tranchant et le bouffon.

Enfin Crèvecœur entra, et fut interpellé aussitôt : « Quelles nouvelles de Liège, sire comte ? L’annonce de votre arrivée a banni l’enjouement de cette table ; nous espérons que votre présence y ramènera la gaieté. — Seigneur et maître, » répondit le comte avec fermeté, mais avec tristesse, « les nouvelles que je vous apporte sont plutôt de nature à être révélées dans un conseil que dans un banquet. — Quelles sont-elles ? s’écria le duc : annonçassent-elles l’antéchrist, je veux les connaître sur-le-champ. Mais je les devine ; les Liégeois se sont encore mutinés ! — C’est la vérité, monsieur, » dit Crèvecœur d’un air grave. — Voyez, reprit le duc, voyez comme j’ai deviné ce que vous hésitiez tant à me dire ! Ainsi ces bourgeois sans cervelle ont encore pris les armes. Cela ne pouvait arriver plus à propos, » ajouta-t-il en jetant sur Louis un regard où il se peignait un ressentiment qu’il s’efforçait cependant de déguiser, « car nous pouvons aujourd’hui prendre l’avis de notre seigneur suzerain sur la manière de réprimer une telle révolte. Est-ce là toutes vos nouvelles ? Pourquoi n’avez-vous pas vous-même marché au secours de l’évêque ? Répondez ! — Il m’en coûte, monseigneur, d’avoir à vous répondre, comme il vous en coûtera de m’entendre. Mon secours et celui de tous les chevaliers du monde ne serviraient de rien à cet excellent prélat : Guillaume de la Marck, uni aux Liégeois insurgés, s’est emparé du château de Schonwaldt, et l’a assassiné dans sa propre demeure. — Assassiné ! » répéta le duc d’un ton bas et concentré, mais qui fut néanmoins entendu d’un bout de la salle à l’autre ; « tu as été trompé par quelque faux rapport, Crèvecœur. Cela est impossible. — Hélas ! monseigneur, répondit le comte, je le tiens d’un témoin oculaire, d’un archer de la garde écossaise du roi de France, qui était dans la salle au moment où