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on dirait que vous venez assister à des funérailles plutôt qu’à un festin ? »

Tandis que le duc parlait, les yeux de l’assemblée étaient tournés sur d’Hymbercourt et d’Argenton ; et comme ils n’étaient nullement de ces gens chez qui une expression de mélancolie est habituelle, leur contenance embarrassée et triste fut si aisément remarquée que le silence succéda aux bruyants éclats de la joie, malgré l’excellent vin dont les convives avaient déjà fait de copieuses libations, sans que personne pût assigner la raison d’un changement survenu presque tout à coup dans les dispositions des esprits ; chacun se mit à parler à l’oreille de son voisin, comme si l’on eût été à la veille d’apprendre quelque grand événement.

« Que signifie ce silence, messieurs ? » dit le duc en élevant la voix qu’il avait naturellement si retentissante. « Si vous apportez à notre banquet ces regards étranges et cette taciturnité non moins singulière, il est fâcheux que vous ne soyez pas restés dans les marais à chercher des hérons, des bécasses, et même des hiboux. — Mon gracieux maître, dit d’Argenton, comme nous revenions de la forêt nous avons rencontré le comte de Crèvecœur. — Quoi ! reprit le duc, déjà de retour du Brabant ? il y a trouvé tout en bon état, j’espère ! — Le comte vous présentera lui-même, dans un instant, l’exposé des nouvelles qu’il rapporte, répondit d’Hymbercourt, car nous ne les avons entendues qu’imparfaitement. — Mort de ma vie ! Et où est le comte ? — Il change de vêtements pour se rendre auprès de Votre Altesse, répondit d’Hymbercourt. — De vêtements ? Par la sambleu ! qu’avait-il besoin d’en changer ? Je crois que vous vous êtes ligués ensemble pour me rendre fou. — Pour parler plus franchement, dit d’Argenton, il désire vous communiquer ses nouvelles en audience particulière. — Tête-Dieu ! sire roi, dit Charles, voilà comme nos conseillers nous servent toujours : s’ils ont appris quelque chose qu’ils jugent de quelque importance pour notre oreille, ils prennent sur-le-champ le ton de gravité, et sont aussi fiers de ce fardeau qu’un âne l’est d’une selle neuve. Qu’on prévienne Crèvecœur de se rendre ici incontinent. Il arrive des frontières de Liège, et quant à nous, du moins, » dit-il en appuyant sur le pronom, « nous n’avons pas de secrets dans ce pays que nous ne puissions proclamer à la face de l’univers.

Tout le monde s’aperçut que le duc avait assez bu pour accroître son entêtement naturel ; et quoique plusieurs de ses courtisans