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que la dépendance où était ce duché de la couronne de France devenait en secret une cruelle mortification pour un prince aussi puissant, aussi riche et aussi hautain que Charles, qui bien certainement aurait voulu pouvoir l’ériger en royaume indépendant. La présence du roi à sa cour lui imposait l’obligation de se renfermer dans le rôle subordonné de vassal, d’accomplir divers actes de déférence et de soumission féodale, ce qui, pour un homme d’un tel caractère, était déroger à sa dignité de prince souverain, dignité qu’en toute occasion il affectait de maintenir autant qu’il dépendait de lui.

Mais si dans un dîner sur l’herbe, fait au son des cors et au milieu des barils mis en perce, on pouvait excuser la liberté qu’autorise un repas champêtre, il n’en devenait que plus indispensable d’observer dans le festin du soir les lois de la plus stricte étiquette.

Des ordres préalables avaient été donnés à cet effet, et, à son retour à Péronne, le roi trouva un banquet préparé avec une splendeur et une magnificence proportionnées à l’opulence de son formidable vassal, qui possédait la presque totalité des Pays-Bas, alors la plus riche contrée de l’Europe. Le duc était assis au haut bout d’une longue table qui gémissait sous le poids de la vaisselle d’or et d’argent dans laquelle étaient servis avec profusion les mets les plus exquis. À sa droite, et sur un siège plus élevé que le sien, était placé le roi, l’hôte en l’honneur duquel la fête se donnait. Debout derrière Charles se tenaient, d’un côté le fils du duc de Gueldres, qui faisait l’office de grand écuyer tranchant, et de l’autre son fou, le Glorieux, sans lequel il se montrait rarement ; car, comme la plupart des hommes de son caractère, ce prince portait à l’extrême le goût général dans les cours de ce siècle pour les fous et les bouffons, trouvant dans leur infirmité morale et dans les saillies qui leur échappaient, le plaisir que son rival plus pénétrant, mais non plus bienveillant, préférait tirer des imperfections de l’humanité envisagée sous un point de vue plus noble, « riant plus volontiers des craintes du brave et des erreurs du sage. » Et en effet, si, comme le rapporte Brantôme, il est vrai qu’un fou de cour ayant entendu Louis XI, dans un de ses accès de repentir, avouer avec contrition qu’il avait été complice de l’empoisonnement de son frère Henri, comte de Guienne, en fit le récit à haute voix, le lendemain à dîner, devant toute la cour assemblée, on peut croire que le monarque se sentit peu de