Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.

étant épuisées par les guerres d’York et de Lancastre, et les dépenses de celle de France étant fort limitées par l’économie parcimonieuse de son souverain, la cour de Bourgogne était à cette époque la plus magnifique de toutes celles de l’Europe. Le cortège de Louis, au contraire, était peu nombreux et d’une excessive mesquinerie, comparativement à celui du Bourguignon. Louis portait un habit râpé et son vieux chapeau à haute forme, garni d’images de plomb. Tout son extérieur formait avec celui de Charles un contraste frappant, voisin même du grotesque, lorsque le duc, paré de son manteau de cérémonie, sa couronne sur la tête, descendit de son noble coursier, et, mettant un genou en terre, se prépara à tenir l’étrier tandis que Louis descendait de son petit palefroi dont l’amble était le pas ordinaire.

Par une conséquence nécessaire, l’accueil que se firent réciproquement les deux potentats fut aussi rempli d’affection, d’amitié et de félicitations, qu’il était dépourvu de sincérité ; mais le caractère du duc lui rendait très-difficile de donner à sa voix, à ses discours et à sa contenance les apparences convenables, tandis que tous les genres de feinte et de dissimulation semblaient tellement inhérents à la nature du roi, que ceux qui le connaissaient le mieux n’auraient pu distinguer ce qui était affecté de ce qui était réel.

Pour se faire une idée de la situation respective de ces deux princes, il faudrait (si toutefois une telle comparaison n’était pas indigne de pareils potentats) il faudrait supposer le roi dans celle d’un étranger qui connaît parfaitement les habitudes et les dispositions naturelles de la race canine, et qui, par quelque motif particulier, désire se faire ami d’un gros mâtin hargneux qui l’inquiète, et qui est disposé à se jeter sur lui au moindre motif de mécontentement ou de méfiance. Le mâtin gronde tout bas, hérisse ses poils, montre les dents, et pourtant il n’ose s’élancer sur celui qui lui montre à la fois tant de bonté et de confiance : il souffre donc des avances qui sont loin de l’apaiser, et il épie la première occasion de pouvoir, en toute sûreté de conscience, sauter à la gorge de celui qui lui donne ces marques d’amitié.

Le roi s’aperçut sans doute, à la voix altérée, aux manières contraintes et aux mouvements brusques du duc, que le rôle qu’il avait à jouer était fort délicat, et peut-être se repentit-il plus d’une fois de l’avoir pris ; mais le repentir arrivait trop tard, et il ne lui restait d’autre ressource que cette politique profonde dans la-