Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/330

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Messager de malheur ! jamais homme ne déroula le tableau de tant de crimes à la fois ! Mais parle, que sais-tu de cet assaut, de cette insurrection, de ce meurtre ? parle, tu es un des archers de confiance de Louis ; c’est sa main qui a dirigé cette flèche cruelle ! parle, te dis-je, ou je te fais écarteler par des chevaux indomptés. — Et quand vous le feriez, sire comte, vous n’arracheriez de moi rien dont un gentilhomme écossais eût à rougir. Je suis aussi étranger que vous à tous ces crimes, et j’étais si éloigné d’y prendre part, que je m’y serais opposé de tout mon pouvoir si mes forces avaient égalé la vingtième partie de mes désirs. Mais que pouvais-je faire ? ils étaient des centaines, et j’étais seul. Mon unique soin fut de sauver la comtesse Isabelle, et j’eus le bonheur d’y réussir. Si cependant j’eusse été assez près du vénérable vieillard lorsqu’il fut si cruellement assassiné, j’aurais sauvé ses cheveux blancs, ou je les aurais vengés. J’exprimai même assez haut l’horreur que m’inspira cet exécrable forfait, pour empêcher de nouveaux crimes. — Je te crois, jeune homme ; tu n’es pas d’un âge et tu ne parais pas d’un caractère à être chargé d’actions aussi sanguinaires, quelque habile que tu puisses te montrer comme écuyer de dames. Mais, hélas ! est-il possible que le bon, le généreux prélat ait été assassiné dans le lieu même où si souvent il déploya envers les étrangers la charité d’un chrétien et l’hospitalité d’un prince. Faut-il croire qu’il a été assassiné par un misérable, par un monstre de sang et de cruauté ? Est-il possible que ce tigre, élevé dans l’asile sacré, ait souillé ses mains du sang de son bienfaiteur ! Mais je ne connaîtrais pas Charles de Bourgogne et je douterais de la justice du ciel, si la vengeance n’était aussi prompte et aussi terrible que le crime a été atroce et inouï. Et si nul autre ne se chargeait de poursuivre le meurtrier… » Ici il arrêta son cheval, lâcha la bride, fit retentir sa cuirasse en se frappant la poitrine de ses mains garnies de gantelets, puis les levant vers le ciel, il continua d’un ton solennel : « Moi, moi, Philippe Crèvecœur des Cordes, je fais vœu à Dieu, à saint Lambert et aux trois Rois de Cologne, de n’occuper mon esprit d’aucune affaire terrestre, jusqu’à ce que j’aie tiré pleine vengeance des meurtriers du bon Louis de Bourbon, dans les forêts ou en champ clos, dans la ville ou en rase campagne, sur les montagnes ou dans les plaines, à la cour du roi ou dans l’église de Dieu, et j’y engage mes terres, mes biens, mes amis, mes vassaux, ma vie et mon honneur. Ainsi, me soient en aide Dieu, saint Lambert et les trois Rois de Cologne ! »