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qu’il avait le rôle d’un homme, et non celui d’un amant, à soutenir devant Crèvecœur, qui de tous les chevaliers de France et de Bourgogne était le moins propre à s’attendrir sur des chagrins d’amour. Il résolut donc de ne pas attendre plus long-temps pour lui parler, et d’entrer en conversation avec lui sur un ton qui le convainquît du droit qu’il avait d’être traité honorablement et avec plus d’égards que le comte ne semblait disposé à lui en accorder, peut-être parce que son orgueil offensé lui faisait voir avec déplaisir qu’un homme d’un rang peu élevé eût obtenu la confiance de sa riche et noble cousine.

« Comte de Crèvecœur, » lui dit-il avec politesse, mais d’une voix ferme, « puis-je vous demander, avant d’aller plus loin, si je suis libre, ou si je dois me regarder comme votre prisonnier ? — La question est adroite ! répondit le comte ; mais en ce moment, je ne puis y répondre que par celle-ci : Pensez-vous que la France et la Bourgogne soient en paix, ou en guerre ? — C’est ce que vous savez certainement beaucoup mieux que moi, seigneur comte ; je suis absent de la cour de France depuis quelque temps, et je n’en ai reçu aucune nouvelle. — Cela suffit, poursuivit le comte ; vous voyez combien il est aisé de faire des questions, mais combien aussi il est difficile d’y répondre. Moi-même, qui ai passé une semaine et plus à Péronne avec le duc, je ne suis pas plus en état que vous d’expliquer cette énigme. Et cependant, sire écuyer, c’est de la solution de ce problème que dépend la question de savoir si vous êtes libre ou prisonnier ; et quant à présent, je dois vous considérer en cette dernière qualité. Voilà ma réponse. Seulement, si vous avez été réellement et honorablement utile à ma parente, et si vous répondez avec sincérité à mes questions, vos affaires pourront prendre une tournure favorable. — La comtesse de Croye peut seule juger si je lui ai rendu quelque service, et c’est à elle que je vous renvoie à cet égard. Quant à mes réponses, vous en jugerez lorsque vous m’aurez questionné. — Hom ! Voilà un ton passablement hautain, murmura Crèvecœur ; il convient assez à celui qui porte à son chapeau le gage d’une belle, et qui croit pouvoir prendre les choses sur un ton élevé, par respect pour ce précieux chiffon de soie ou de brocard… Eh bien, monsieur l’archer, j’ose croire que, sans déroger à votre dignité, vous pourrez me dire depuis combien de temps vous êtes attaché au service de la comtesse Isabelle de Croye. — Comte de Crèvecœur, si je réponds à des questions qui me sont adressées sur un ton qui ap-