Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/317

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fermeté factice, qu’il est loin de posséder, quand il demande si sa sentence sera bientôt exécutée.

— Non, Durward, non, » lui répondit Isabelle en se redressant sur sa selle, « tout le pouvoir du duc de Bourgogne ne pourrait contraindre une fille de la maison de Croye à s’avilir par cet odieux mariage. Il peut saisir mes terres et mes fiefs, me reléguer dans un couvent ; mais là se borne tout ce que j’ai à redouter de lui ; et j’endurerai de plus grands maux encore plutôt que d’épouser Campo-Basso. — De plus grands maux encore ! s’écria Quentin : et en est-il de plus insupportables que la perte de ses biens et de la liberté ? Ah ! pensez-y bien, tandis que vous respirez cet air pur, présent du ciel, tandis que vous êtes sous la protection d’un homme qui hasardera sa vie pour vous conduire en Angleterre, en Allemagne, en Écosse même, et vous y trouverez de généreux protecteurs. Puisqu’il en est temps encore, ne faites pas si témérairement le sacrifice de votre liberté, du don le plus précieux que puisse vous accorder la bonté divine ! Ah ! qu’un poëte de mon pays la chante dignement, cette liberté :

Ô liberté, des cieux ineffable présent !…
Avec la liberté l’homme a tout ce qu’il aime ;
Elle offre du plaisir le charme bienfaisant.
L’homme libre est heureux de sa liberté même.
Chagrin, besoin, misère, indomptables douleurs,
Le stupide esclavage unit tous les malheurs. »

La comtesse écouta avec un sourire mélancolique ces vers en l’honneur de la liberté, puis, après un court silence, elle répondit : « la liberté n’appartient qu’à l’homme : la femme a besoin d’un protecteur, puisque la nature ne lui a pas donné les moyens de se protéger elle-même. Et où en trouverai-je un ? sera-ce le voluptueux Edward d’Angleterre, l’ignoble Wenceslas d’Allemagne, qui sans cesse est gorgé de vin ? En Écosse, peut-être ? Ah, Durward ! si j’étais votre sœur et que vous pussiez me promettre un asile dans la vallée d’une de ces montagnes que vous vous plaisez tant à décrire ; un asile où, soit par charité, soit au prix du peu de bijoux qui me restent, il me serait permis de mener une vie paisible et d’oublier le rang dans lequel je suis née ; si vous pouviez m’assurer la protection de quelque respectable matrone de votre pays, de quelque baron dont l’honneur soit aussi fidèle que la lame de son épée, cet espoir pourrait m’engager à braver de nouveau la censure du monde en m’aventurant dans ce pays éloigné. »