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teur du Roman comique, qui jouait toute une pièce à lui seul. Il veut absolument être à la fois maître d’hôtel, cuisinier en chef, valet de chambre, en un mot représenter toute une suite de domestiques dans sa personne. Il me rappelle quelquefois un personnage de la Bride de Lammermoor[1], que vous devez avoir lue, puisque c’est l’ouvrage d’un de vos gens de lettres, qu’on appelle, je crois, le chevalier Scott.

— Je présume, répondis-je, que vous voulez dire sir Walter.

— Oui, c’est de lui-même que je voulais parler : j’oublie toujours les noms qui commencent par cette lettre impossible[2]. »

Cette réflexion écarta des souvenirs plus pénibles ; car j’avais à redresser mon ami français sur deux points. Sur le premier je réussis, non sans quelques difficultés ; car le marquis, malgré son aversion pour les Anglais, ayant passé trois mois à Londres, se piquait d’entendre les difficultés les plus ardues de la langue, et en appelait à tous les dictionnaires, depuis celui de Florio jusqu’au plus moderne, pour prouver que le mot anglais bride signifiait en français la bride d’un cheval. Son scepticisme alla même si loin sur ce point de philologie, que lorsque je me hasardai à lui faire entendre que dans tout le roman il n’y avait rien qui eût rapport à une bride, prenant un grand sang-froid, et ne se doutant nullement à qui il parlait, il rejeta tout le blâme de cette inconséquence sur le malheureux auteur. J’eus ensuite la franchise d’informer mon ami, d’après des motifs que personne ne pouvait connaître aussi bien que moi, que mon compatriote, homme de lettres distingué, dont je parlerai toujours avec le respect dû à ses talents, n’était pas responsable des ouvrages futiles que le caprice du public lui avait trop généreusement et trop inconsidérément attribués. Saisi par l’impulsion du moment, j’aurais même peut-être été plus loin, et confirmé ma dénégation par une preuve positive, en avouant à mon hôte qu’il n’était pas possible qu’un autre eût écrit des ouvrages dont moi-même j’étais l’auteur ; mais j’échappai au danger auquel je m’étais imprudemment exposé, le marquis m’ayant répondu avec beaucoup de calme qu’il était bien aise d’apprendre que de pareilles frivolités n’avaient pas été composées par une personne de condition. « Nous les lisons, dit-il, comme nous écoutons les plaisanteries d’un comédien, ou

  1. Le mot bride veut dire fiancée, et le marquis le prononce comme si c’était une bride, qui en anglais se traduit par bridle, et qu’il faut prononcer braidle. Il aurait dû dire : braïde. On verra tout à l’heure l’utilité de cette remarque. a. m.
  2. Le double W anglais. a. m.