Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsque Quentin eut annoncé les comtesses de Croye, on les introduisit avec respect dans le grand salon, où elles reçurent de l’évêque, qui était à la tête de sa petite cour, l’accueil le plus cordial. Il ne voulut pas leur permettre de lui baiser la main, mais il les embrassa ; et dans ce baiser déposé sur leurs joues il y avait tout à la fois quelque chose de la galanterie d’un prince qui reçoit de jolies femmes, et de la sainte affection d’un pasteur pour la partie féminine de son troupeau.

Louis de Bourbon, évêque de Liège, était réellement un prince bon et généreux : sa vie n’avait peut-être pas toujours été renfermée dans les limites sévères du caractère sacerdotal ; mais il ne s’était jamais écarté du caractère de franchise et d’honneur qui distingue la maison de Bourbon, de laquelle il descendait.

Dans les derniers temps, car il avançait en âge, le prélat avait adopté une vie plus régulière que dans le commencement de son règne, et plus convenable pour un membre de la sainte hiérarchie. Il était aimé des princes ses voisins comme un noble ecclésiastique généreux et magnifique dans toutes les actions de sa vie, quoique s’écartant quelquefois de la rectitude et de la sévérité de conduite dont sa qualité d’évêque lui faisait une loi, et gouvernant avec une molle indifférence qui encourageait à la rébellion ses sujets riches et mutins, plutôt que de les maintenir dans le devoir.

Il était si étroitement allié avec le duc de Bourgogne, que ce dernier se croyait presque en droit de réclamer une partie de sa souveraineté temporelle, et récompensait la facilité avec laquelle le prélat admettait des prétentions qu’il aurait pu aisément réfuter, en embrassant son parti en toute occasion avec ce zèle fougueux et violent qui fut toujours le trait le plus saillant de son caractère. Charles avait coutume de dire qu’il considérait Liège comme lui appartenant, et l’évêque comme son frère (en effet le duc avait épousé en premières noces une sœur de ce prélat) ; ajoutant que quiconque ferait injure à Louis de Bourbon aurait à faire à Charles de Bourgogne ; menace qui, si l’on considère le caractère et la puissance de ce prince, devait être peu agréable pour les habitants de la ville de Liège, où, suivant un vieux proverbe : « L’argent faisait trébucher l’esprit[1]. »

  1. C’est-à-dire que, tous deux mis dans la balance, le premier l’emportait sur le second ; ou bien encore, que leur richesse tournait la tête à ces honnêtes industriels. a. m.