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de vin qui veut connaître la pensée des autres ou cacher la sienne. Mais à quoi sert te prêcher, toi dont la soif est aussi insatiable que celle des sables de l’Arabie ! Adieu. Emmène avec toi mon camarade Tuisco ; sa présence auprès du monastère pourrait faire naître des soupçons. »

Après s’être donné leur parole d’être exacts au rendez-vous de la croix des Trois-Rois, les dignes associés se séparèrent.

Quentin les suivit des yeux aussi long-temps qu’il put les apercevoir, puis il descendit de l’arbre sur lequel il s’était tenu caché. Son cœur battit en songeant au danger auquel les dames de Croye et lui-même venaient d’échapper, si toutefois il était encore possible de déjouer une si noire trahison. Craignant de rencontrer Hayraddin en revenant au monastère, il prit un chemin détourné, au risque d’être obligé de passer à travers champs.

Tout en marchant, il réfléchit sur le plan de conduite qu’il devait adopter. Lorsqu’il avait entendu Hayraddin avouer sa perfidie, il avait d’abord formé la résolution de le tuer aussitôt que la conférence serait terminée et ses compagnons suffisamment éloignés ; mais la chaleur que le Bohémien déploya ensuite pour lui assurer la vie sauve lui fit sentir l’impossibilité d’infliger à ce traître, dans toute sa rigueur, le châtiment qu’il méritait. Il résolut donc de l’épargner, et même, s’il était possible, de continuer à se servir de cet homme en qualité de guide, en prenant les plus grandes précautions pour la sûreté de celle qui lui était confiée, et à laquelle il était entièrement dévoué.

Mais où aller ? Les comtesses de Croye ne pouvaient chercher un asile ni en Bourgogne d’où elles s’étaient enfuies, ni en France d’où elles avaient été pour ainsi dire expulsées. La violence du duc Charles dans le premier de ces deux pays n’était guère plus à redouter pour elles que la froide et tyrannique politique du roi Louis dans l’autre. Après de profondes réflexions, Durward ne put former un plan meilleur et plus sûr que celui d’éviter l’embuscade en prenant la route de Liège par la rive gauche de la Meuse, et se mettre, ainsi que les dames l’avaient d’abord projeté, sous la protection du bon évêque de cette ville. On ne pouvait douter qu’il ne mît le plus grand empressement à les servir ; et si, comme le prieur le lui avait dit, il lui arrivait de Bourgogne un renfort de cent hommes d’armes, le digne prélat en avait probablement le pouvoir. Quoi qu’il pût en être, si les dangers auxquels l’exposaient les hostilités de Guillaume de la Marck et les