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milieu d’un paysage qu’éclairent les rayons brillants du soleil. Je fis, pour lier connaissance avec lui, les avances que le lieu, les circonstances et les mœurs du pays exigeaient, c’est-à-dire que je vins me placer près de lui ; et, tout en fumant avec calme mon cigare par bouffées intermittentes et presque imperceptibles, je lui adressai le petit nombre de questions que partout, et plus particulièrement en France, l’usage permet à un étranger de faire sans s’exposer au reproche d’impertinence. Le marquis de Haut-Lieu, car c’était là son titre, fut aussi laconique et aussi sentencieux que la politesse française le permettait : il répondit à toutes mes questions, ne m’en adressa aucune, et ne m’encouragea point à les renouveler.

La vérité était que, n’étant pas très-accessible aux étrangers, de quelque nation qu’ils fussent, ni même pour ceux de ses compatriotes qu’il ne connaissait point, le marquis était particulièrement réservé envers les Anglais. Ce sentiment était dû peut-être à un reste de l’ancien préjugé national ; peut-être venait-il de l’idée que les Anglais sont un peuple hautain, fier de ses richesses, et pour qui le rang, joint à une fortune médiocre, est un objet de mépris autant que de pitié ; ou peut-être enfin, en réfléchissant sur certains événements récents, éprouvait-il, comme Français, quelque mortification, même des succès qui avaient rétabli son maître sur le trône et lui-même dans des propriétés fort amoindries et dans un château dévasté. Néanmoins son aversion n’allait jamais au delà de cet éloignement pour la société des Anglais. Lorsque les affaires d’un étranger exigeaient l’intervention de son crédit en sa faveur, il l’accordait toujours avec toute la courtoisie d’un gentilhomme français qui sait ce qu’il se doit à lui-même et ce qui est dû à l’hospitalité nationale.

À la fin, je ne sais par quel hasard le marquis découvrit que l’individu qui fréquentait le même café que lui était Écossais, circonstance qui parla hautement en ma faveur. Il m’informa que quelques-uns de ses ancêtres étaient d’origine écossaise ; il croyait même que sa maison avait quelques parents dans ce qu’il lui plaisait d’appeler la province de Hanguisse, dans la Calédonie. La parenté avait été vérifiée et reconnue de part et d’autre au commencement du siècle dernier ; et durant son exil (car, comme on le pense bien, le marquis avait passé dans les rangs de l’armée de Condé et partagé les malheurs et la détresse de l’émigration), il avait éprouvé quelque désir d’aller renouer connaissance avec ses