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deux nations garantit au continent qu’il restera à jamais affranchi du joug des Anglais. »

Le comte répondit comme il convenait qu’il le fît, et Louis donna un libre cours à la gaieté satirique qui parfois venait adoucir les sombres nuances de son humeur ordinaire. Dirigeant, comme on le supposera aisément, le cours de la conversation, ses remarques toujours fines et caustiques, souvent spirituelles, étaient rarement marquées au coin de la bienveillance ; et les anecdotes dont il les appuyait étaient plutôt libres que délicates. Mais pas un mot, pas une syllabe, pas un signe, ne trahissait la situation d’esprit d’un homme qui, craignant d’être assassiné, a dans son appartement un soldat couvert de son armure et tenant à la main une arquebuse chargée, afin de prévenir ou d’anticiper l’accomplissement de ce forfait.

Le comte de Crèvecœur partagea de la manière la plus franche la gaieté du roi, tandis que l’adroit prélat éclatait de rire à chacune de ses plaisanteries, et faisait ressortir le mérite des bons mots qui lui échappaient, sans paraître aucunement choqué de certaines expressions qui faisaient rougir le rustique et jeune Écossais, dans l’endroit où il était caché. Au bout d’une heure et demie, on se leva de table, et le roi, prenant courtoisement congé de ses hôtes, leur fit entendre qu’il désirait être seul.

Dès que tout le monde, et Olivier lui-même, se fut retiré, il dit à Quentin qu’il pouvait quitter le lieu de sa retraite ; mais ce fut d’une voix si faible, que le jeune homme put à peine croire que ce fût la même qui venait, un instant auparavant, de donner par ses plaisanteries un tour si vif et si piquant à la conversation. En s’approchant il vit dans la physionomie du roi un changement non moins marqué. Le brillant d’une vivacité empruntée ou factice avait disparu de ses yeux, le sourire avait abandonné ses lèvres, et il laissait voir toute la fatigue sous laquelle succombe un acteur célèbre quand il vient de jouer un rôle dans lequel le public aime à le voir paraître.

« Ta faction n’est pas encore finie… dit-il à Quentin ; rafraîchis-toi un instant… cette table t’en offre les moyens. Lorsque tu seras rassasié, je te donnerai mes instructions sur le service qui te reste à faire ; car je n’ignore pas qu’entre un estomac plein et un estomac vide la conversation ne peut que languir[1]. »

  1. It is talking between a full man and a fasting. Ce qui rappelle notre proverbe « Ventre affamé n’a pas d’oreilles. » a. m.