Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/152

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la bizarrerie d’une pareille situation. Ces quatre jambes du quadrupède, qui, nullement aux ordres du cavalier, ni même quelquefois à ceux de l’animal lui-même, courent de manière à faire croire que celles de derrière veulent atteindre celles de devant ; ces jambes du bipède, que nous souhaiterions alors pouvoir appuyer sans danger sur la verte pelouse, mais qui ne font qu’augmenter notre détresse en pressant les flancs du coursier, contre lesquels elles sont pour ainsi dire collées ; les mains, qui ont abandonné la bride pour saisir la crinière ; le corps qui, au lieu de se tenir droit sur son centre de gravité, comme le vieux Angelo[1] avait coutume de le recommander, ou de se pencher en avant, comme fait un jockey à Newmarket[2], est couché sur le cou du cheval, sans meilleure chance de ne pas tomber que n’en aurait un sac de blé : tout cela forme un tableau très-risible sans doute pour les spectateurs, quoique le héros de la scène n’y voie rien que de pénible. Mais si l’on y ajoute quelque chose de particulier dans les vêtements ou dans l’extérieur du malheureux cavalier, une robe ecclésiastique, un uniforme splendide, ou tout autre costume particulier ; de plus, si l’on suppose que la scène se passe à une course de chevaux, à une revue, à une procession ou dans un lieu quelconque de grande réunion publique, le pauvre diable, pour se soustraire à la mortification d’être hué avec d’inextinguibles éclats de rire, n’a d’autre alternative que de se rompre un membre ou deux, ou, ce qui serait plus efficace encore, de se faire tuer net, car ce ne sera qu’à ce prix qu’il excitera quelque compassion. Dans la circonstance présente, la robe courte du cardinal, qu’il prenait habituellement pour monter à cheval, car il avait changé de costume avant de partir du château ; ses bas écarlates, son chapeau de même couleur, garni de ses longs cordons, son excessif embarras, donnaient un caractère on ne peut plus pittoresque à cette preuve de son adresse en équitation.

Le cheval lui-même vola plutôt qu’il ne galopa dans une longue avenue couverte de verdure, atteignit la meute qui était en pleine course après le sanglier, renversa un ou deux piqueurs qui ne s’attendaient guère à être chargés à l’arrière-garde, passa sur le

  1. Angelo est un fameux maître d’équitation à Édimbourg, et l’on assure qu’il a appris à monter à cheval à Walter Scott lui-même, qui a été volontaire dans les chevau-légers de cette ville avant la paix d’Amiens. a. m.
  2. Newmarket, ville où s’élèvent tous les chevaux de race pure, et située à quelques lieues de Londres. a. m.