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augmenté par la certitude où il était que le roi méditait à son égard un des actes les plus cruels et les plus injustes qu’un tyran pût commettre, celui de le contraindre à épouser la princesse Jeanne de France, la plus jeune de ses filles, à laquelle le prince avait été fiancé dans son enfance, mais dont la difformité rendait toute insistance sur un pareil engagement l’équivalent d’un acte de rigueur odieuse.

L’extérieur de ce malheureux prince n’était distingué par aucun avantage personnel ; mais il était d’un caractère doux, humain et bienfaisant, qualités qui perçaient à travers le voile de mélancolie extrême qui en ce moment couvrait ses traits. Quentin s’aperçut que le duc d’Orléans évitait avec soin de porter les yeux sur les gardes en leur rendant leur salut, et qu’il les tenait baissés vers la terre, comme s’il eût craint que la jalousie du roi n’interprétât cette marque de courtoisie ordinaire comme une preuve du désir de se concilier l’attachement particulier de ses soldats.

Bien différente était la conduite du fier prélat et cardinal Jean de la Balue, alors ministre favori de Louis, et dont l’élévation ainsi que le caractère établissaient entre lui et Wolsey une ressemblance aussi parfaite que le pouvait permettre la différence reconnue entre l’astucieux, le politique Louis, et le fougueux, le bouillant Henri VIII d’Angleterre. Le premier avait élevé son ministre, du rang le plus bas, à la dignité ou du moins aux émoluments de grand aumônier de France, lui avait donné de nombreux bénéfices, et avait obtenu pour lui le chapeau de cardinal ; et, quoique trop méfiant pour accorder à l’ambitieux la Balue le pouvoir et la confiance sans bornes que Henri accordait à Wolsey, il se laissait influencer par lui plus que par tout autre de ses conseillers avoués. Aussi le cardinal n’avait-il pas échappé à l’erreur commune à ceux qui d’un état obscur sont tout à coup élevés au pouvoir ; ébloui sans doute par la rapidité de son élévation, il avait la ferme persuasion qu’il était capable de se mêler de toute espèce d’affaires, même de celles de la nature la plus étrangère à sa profession et à ses études. De haute taille, mais entièrement dénué de grâce, il affectait de la galanterie et de l’admiration pour le beau sexe, quoique ses manières, autant que le caractère dont il était revêtu, fissent ressortir l’absurdité et l’inconvenance de ses prétentions. Quelque flatteur, je ne saurais dire de quel sexe, lui avait persuadé, sans beaucoup de difficulté peut-être, que deux énormes jambes charnues, qu’il tenait de son père, charretier de Li-