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libre essor à leurs sentiments nationaux en recevant dans leurs rangs une recrue nouvellement arrivée de leur chère patrie. Ils chantèrent de vieilles chansons écossaises, racontèrent de vieilles histoires de héros écossais, rappelèrent les exploits de leurs ancêtres, ainsi que les circonstances dans lesquelles ils avaient été mis à fin ; en un mot, les riches campagnes de la Touraine semblaient, en ce moment, être devenues pour eux les stériles et montagneuses régions de la Calédonie.

Leur enthousiasme était au comble, et chacun à l’envi s’efforçait de trouver des paroles capables de rendre plus cher encore le souvenir de l’Écosse, lorsqu’ils reçurent une impulsion nouvelle par l’arrivée de lord Crawford, qui, ainsi que le Balafré l’avait bien prévu, avait été pour ainsi dire assis sur des épines jusqu’à ce qu’il eût trouvé l’occasion de s’échapper de la table du roi pour venir se joindre à la fête que donnaient ses compatriotes. Un siège de parade lui avait été réservé au haut bout de la table ; car d’après les mœurs du temps et la constitution des archers de la garde écossaise, quoique leur capitaine ne reconnût d’autre supériorité que celle du roi et du grand connétable, les membres de ce corps (les simples soldats, comme nous dirions aujourd’hui) étant tous nobles de naissance, il pouvait sans déroger s’asseoir à la table avec eux, et prendre part à leurs fêtes, quand il le jugeait à propos, sans déroger à sa dignité[1].

Cette fois-ci néanmoins lord Crawford refusa de prendre la place qu’on lui avait préparée ; et, engageant les convives à continuer de se livrer à la joie, il se tint debout et se mit à les contempler d’un air qui faisait voir qu’il jouissait de leur bonheur.

« Laissez-le faire, » dit tout bas Cunningham à Lindesay pendant que ce dernier présentait un verre de vin à leur noble capitaine, « laissez-le faire ; il ne faut pas pousser les bœufs d’un autre trop vivement ; il y arrivera de lui-même. »

Effectivement le vieux lord, qui avait d’abord souri, secoua la tête, et posa le verre de vin devant lui sans y avoir touché ; bientôt après et comme par distraction, il le portait à ses lèvres, lorsque tout à coup il se souvint fort heureusement que ce serait un mauvais présage s’il ne buvait pas à la santé du brave jeune homme qui venait d’être admis dans le corps. Il porta donc la santé de Durward, et,

  1. C’est ce qui existe de nos jours dans l’armée anglaise : le capitaine, le simple sous-lieutenant même, mangent à la table du colonel ou du général, sans que cela affaiblisse en rien la discipline et l’ordre hiérarchique. a. m.