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d’un charme, ou que les paysans de la Touraine étaient les plus stupides, les plus brutaux et les plus inhospitaliers de toute la France. Ce qui lui arriva bientôt après ne tendit pas à lui faire changer d’opinion.

Sur une petite éminence située près des bords de la magnifique et rapide rivière du Cher, et directement en face du chemin, Durward vit deux ou trois grands châtaigniers, si heureusement placés qu’ils formaient un groupe très-remarquable. À quelques pas de là se tenaient trois ou quatre paysans, debout, immobiles, levant les yeux et paraissant les fixer sur les branches de l’arbre le plus rapproché d’eux. Les méditations de la jeunesse sont rarement assez profondes pour ne pas céder à la plus légère impulsion de curiosité, aussi aisément qu’un caillou que la main laisse échapper par hasard rompt la surface limpide d’un étang. Quentin doubla le pas, gravit légèrement la colline, et arriva assez à temps pour voir l’horrible spectacle qui attirait les regards de ces paysans : ce n’était rien moins que le corps d’un homme pendu à une des branches, et dans les dernières convulsions de l’agonie.

« Que ne coupez-vous la corde ? » dit le jeune Écossais dont la main était aussi prête à secourir le malheur qu’à maintenir son propre honneur lorsqu’il le croyait attaqué.

Un des paysans, tournant vers lui des yeux où la crainte seule était empreinte, et un visage aussi jaune que l’argile, indiqua du doigt une marque taillée dans l’écorce de l’arbre, et qui ressemblait à une fleur de lis à peu près comme certaines entailles talismaniques bien connues de nos officiers du fisc ressemblent à une large flèche[1]. Ne comprenant point ce symbole, ou s’en inquiétant peu, Quentin grimpa sur l’arbre avec l’agilité de l’once, tira de sa poche cet instrument indispensable à un montagnard, à un chasseur, son fidèle skene dhu[2], et criant à ceux qui étaient en bas de recevoir le corps dans leurs bras, il coupa la corde avant qu’il se fût écoulé une minute depuis qu’il avait aperçu cette scène.

Mais son humanité fut mal secondée par les spectateurs. Bien loin d’être d’aucun secours à Durward, ils parurent épouvantés de l’audace de l’action, et prirent la fuite d’un commun accord, comme s’ils eussent craint que leur présence suffît seule pour les

  1. Le texte dit broad-arrow, par une allusion à une sorte d’estampille employée en Angleterre pour marquer tous les objets qui appartiennent à l’état. Cette marque est censée représenter la double pointe d’une flèche. a. m.
  2. Espèce de petit couteau pointu à lame courte, que les Écossais avaient coutume de porter, et qu’ils appelaient dirk. a. m.