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vendre, et persuada à ses sujets, parmi lesquels la classe mercantile commençait à faire quelque figure, qu’il valait mieux laisser à des mercenaires les risques et les travaux de la guerre, et aider la couronne à les payer, que de s’exposer eux-mêmes à des dangers pour la défense de leurs propres biens. Ce raisonnement persuada aisément les marchands. Toutefois le temps n’était pas encore venu où les propriétaires fonciers et les nobles furent également exclus des rangs de l’armée ; mais le despote Louis XI commençait à introduire ce système qui, imité et suivi par ses successeurs, finit par faire passer toutes les forces militaires de l’État dans les mains du monarque.

Ce prince était également porté à altérer les principes qui règlent ordinairement les relations des deux sexes. Les doctrines de la chevalerie avaient établi, du moins en théorie, un système d’après lequel la beauté était la divinité qui gouvernait et qui récompensait ; la valeur était son esclave : le chevalier puisait son courage dans un coup d’œil de sa belle, et donnait sa vie pour la plus légère faveur qu’il en obtenait. Il est vrai que ce système, ici comme en beaucoup d’autres circonstances, était poussé jusqu’à l’extravagance, et que le scandale s’y mêlait souvent. Ces cas étaient généralement ceux dont Burke fait mention, et dans lesquels les motifs de ces faiblesses en atténuent singulièrement la criminalité. D’après les habitudes de Louis XI, il en était tout autrement. Voluptueux vulgaire, ce prince cherchait le plaisir sans aucun sentiment délicat, et méprisait le sexe auquel il le demandait ; ses maîtresses étaient aussi peu dignes d’être comparées à Agnès Sorel, dont la conduite blâmable ne répondit point à l’élévation de son caractère, que Louis méritait peu lui-même d’être comparé à son père Charles VII, qui délivra la France du joug écrasant de l’Angleterre. En choisissant aussi ses favoris et ses ministres dans la classe infime du peuple, Louis montra le peu d’égard qu’il avait pour l’élévation du rang ou de la naissance ; et quoique, sous certains rapports ce choix fût excusable, méritoire même, lorsque la volonté du monarque élevait un talent obscur ou faisait ressortir le mérite modeste, il en était bien autrement lorsqu’il adoptait pour ses favoris des hommes tels que Tristan l’Ermite, le chef de la maréchaussée ou police. Il était dès lors évident qu’un tel prince ne pouvait plus être, comme plus tard François Ier se désignait lui-même avec tant de grâce, le premier gentilhomme de son royaume.