Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/99

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— C’est possible ; mais il chasse un gibier auquel vous ne pensez guère, avec sa face triste et blême, qui effraierait les enfants et qui ferait tourner le lait des nourrices, répondit Lance. — Tu ne veux pas, je pense, me faire croire qu’il court après les filles ? dit Whitaker. Il a toujours été sombre et morne depuis la mort de sa femme. Tu sais que milady a pris son enfant, de peur qu’il ne l’étranglât dans quelqu’un de ses accès, parce que sa vue lui rappelait sa mère. Avec sa permission, et soit dit entre amis, il y a beaucoup d’enfants de pauvres cavaliers, auxquels on eût mieux fait de donner ces soins. Mais revenons à ton histoire. — Eh bien, dit Lance, je pense que vous avez remarqué, maître Whitaker, qu’une certaine mistress Deborah a manifesté une certaine prédilection pour une certaine personne qui demeure dans une certaine maison. — Pour toi, sans doute, répondit Whitaker ; Lance-Outram, tu es le plus vain de tous les fats. — Fat ! reprit Lance ; pourquoi cela ? pas plus tard qu’hier au soir, toute la maison a vu qu’elle se jetait, comme on dit, à ma tête. — Je voudrais donc qu’elle eût été une brique, et qu’elle t’eût brisé le crâne, pour te châtier de ton impertinence et de ta présomption, reprit l’intendant. — C’est bon, c’est bon ; mais veuillez m’écouter. Ce matin j’avais résolu d’aller tuer un daim dans le parc, jugeant qu’un morceau de venaison ne ferait pas mal dans le garde-manger, après la bombance d’hier. Comme je passais sous la croisée de la chambre des enfants, je levai les yeux pour voir ce que faisait madame la gouvernante, et je la vis à travers les carreaux mettre sa cape et son manteau dès qu’elle m’eut aperçu. Un instant après, la porte s’ouvrit, et je ne pus douter que la dame n’eût l’intention de traverser le jardin et de venir dans le parc par la brèche du mur. Ah ! ah ! mistress Deborah, pensai-je, si vous êtes ainsi disposée à danser au son de ma flûte et de mon tambourin, je vous jouerai une fugue avant que vous m’attrapiez. Et aussitôt je descendis vers Ivy-tod-Dingle, où le taillis est épais et le terrain marécageux, et je tournai ensuite par Haxley-Bottom, pensant qu’elle me suivait et riant dans ma barbe du tour que je lui jouais. — Vous auriez mérité, dit Whitaker, de faire le plongeon dans la mare ; mais quel rapport cette histoire de Jacques-la-Lanterne[1] a-t-elle avec Bridgenorth ? — Quel rapport ? s’écria Lance ; c’est que c’était Bridgenorth lui-même qui empêchait qu’elle ne me suivît, par Dieu ! Je marchai d’abord lente-

  1. Jack la lantern phrase proverbiale pur exprimer feu follet. a. m.