Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/90

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vées déçues ; mais il avait aussi trop de franchise pour dissimuler tout à fait son désappointement.

« Qui, moi ? madame, dit-il ; hélas ! que pouvait attendre du souverain un pauvre campagnard comme moi, si ce n’est le plaisir de le revoir à Wite-Hall en paisible possession de son trône ? Sa Majesté m’a reçu de la manière la plus gracieuse ; elle m’a parlé de la journée de Worcester, et même de mon cheval Black-Hastings, bien qu’elle eût oublié son nom et le mien aussi, je crois, et qu’elle ne s’en fût jamais souvenue peut-être, si le prince Rupert ne le lui eût soufflé à l’oreille. J’ai revu là quelques anciens amis, tels que Sa Grâce le duc d’Ormont, sir Marmaduke Langdale, sir Philippe Musgrave et quelques autres ; nous avons fait même une ou deux parties joyeuses à la manière du vieux temps. — J’aurais cru que tant de dangers courus, tant de blessures reçues, tant de pertes de fortune méritaient quelque chose de mieux que des paroles doucereuses, dit la comtesse. — Plusieurs de mes amis ont eu aussi la même pensée, répondit Peveril. Quelques-uns avaient l’idée que la perte de tant d’acres de belle et bonne terre valaient bien au moins la récompense de quelques honneurs ; il y en avait même qui pensaient que mon origine, qui remonte jusqu’à Guillaume-le-Conquérant (pardonnez-moi, milady, si je me vante ainsi en votre présence), méritait un rang et un titre, tout aussi bien que certains grands personnages qui ont été comblés de dignités. Mais savez-vous ce que dit à ce sujet le spirituel duc de Buckingham, dont le grand-père était un pauvre chevalier du comté de Leicester, d’une famille qui valait tout au plus la mienne ? Il dit que si tous ceux qui, comme moi, ont bien mérité du roi dans les derniers temps étaient appelés à la pairie, il faudrait que la chambre des pairs tînt ses séances dans la plaine de Salisbury. — Et cette mauvaise plaisanterie passa pour une bonne raison, dit la comtesse : cela se peut bien au reste dans un temps où les meilleurs arguments passent pour des jeux de mots. Mais voici quelqu’un avec qui je veux faire connaissance. »

C’était le petit Julien qui rentrait dans l’appartement, tenant la petite Alice par la main, comme s’il eût voulu qu’elle rendît témoignage de la vérité de ce qu’il venait raconter à son père sur le courage dont il avait fait preuve en reconduisant seul Black-Hastings à l’écurie, tandis que Saunders, marchant à côté du cheval, n’avait pas mis une seule fois la main sur les rênes, et que