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prendre de l’exercice aux enfants, que l’herbe humide du parc après la rosée du matin.

Mais l’esprit d’une femme est quelquefois aussi inconséquent que celui d’une assemblée populaire, et sur-le-champ, après avoir décidé que la matinée serait pluvieuse, et qu’il valait mieux que les enfants restassent dans la chambre dorée, mistress Deborah forma le projet, tant soit peu contradictoire, de se rendre au jardin, qu’elle regardait, nonobstant la prétendue humidité, comme un endroit très convenable pour sa promenade du matin. Il est vrai que, pendant la gaieté sans contrainte de la soirée précédente, elle avait dansé jusqu’à minuit avec Lance Outram, le garde forestier. Mais de savoir si son aspect imprévu, lorsqu’elle le vit passer sous la fenêtre dans son costume de chasse, portant une plume à son chapeau et un arc sur l’épaule, détermina l’opinion de mistress Deborah relativement au temps, c’est ce qui nous serait difficile, et nous n’avons pas assez de témérité pour oser le deviner. Il nous suffira de dire qu’aussitôt que mistress Ellesmère eut le dos tourné, Deborah conduisit les enfants dans la chambre dorée, non sans la recommandation sévère faite à Julien (il faut rendre cette justice à Deborah) de prendre bien soin de sa petite femme, mistress Alice ; et, satisfaite de cette précaution, elle se glissa dans le parc par une porte vitrée qui faisait presque face à la grande brèche.

La chambre dorée, où, par suite de cet arrangement, les enfants furent laissés seuls occupés de leurs jeux, et sans autre sauvegarde que la présence du petit Julien, était un vaste appartement dont les murs étaient tapissés de cuir d’Espagne couvert de dorures, et on y voyait représentés avec un talent totalement perdu de nos jours, des joutes et des combats entre les Sarrasins de Grenade et les Espagnols, gouvernés alors par Ferdinand-le-Catholique et la reine Isabelle. L’événement représenté sur ces tapisseries était le siège mémorable qui avait mis fin au reste de pouvoir que les Maures avaient encore en Espagne.

Julien parcourait l’appartement pour amuser sa petite compagne et s’amuser lui-même, imitant avec un roseau l’attitude menaçante des Zegris et des Abencerrages, qui étaient représentés dans le combat lançant, à la manière orientale, le djerid ou javelot ; et de temps en temps il s’asseyait près d’elle, lui souriait et la caressait doucement, quand l’enfant, naturellement vive, quoique timide, paraissait fatiguée de rester spectatrice oisive