Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/572

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fortes que les lois de la société civile aient imposées à la dignité naturelle de l’homme se briser entre mes mains comme un fil d’araignée. »

Elle réfléchit un instant, et répondit : « Lorsqu’un noble motif t’enflammait, oui, un noble motif, quoique illégal ; car j’étais née pour regarder en face le soleil dont les pâles filles de l’Europe ne peuvent soutenir l’éclat ; j’étais déterminée à te servir ; j’aurais pu te suivre tant que la vengeance ou l’ambition t’eussent servi de guide… mais l’amour de l’or, et encore de l’or acquis par quel moyen !… Quelle sympathie puis-je éprouver pour qui est animé de tels sentiments ! Ne te serais-tu pas ravalé jusqu’à être le pourvoyeur des plaisirs du roi, même en prostituant ta propre nièce ?… Tu souris ? Tâche encore de sourire lorsque je le demanderai si ton dessein n’était pas de me prostituer moi-même, lorsque tu m’ordonnas de demeurer dans la maison de ce misérable Buckingham ? Tâche de sourire à cette question, et, par le ciel, je te perce le cœur ! » En même temps, elle porta la main à son sein, et laissa voir en partie le manche d’un petit poignard.

« Si je souris, dit Christian, ce n’est que de mépris pour une accusation si odieuse. Zarah, je ne t’en dirai pas la raison ; mais il n’existe pas au monde une créature dont la sûreté et l’honneur me soient plus à cœur que les tiens. Épouse de Buckingham, tel est le titre que je désirais te voir acquérir, et, avec ton esprit et ta beauté, je ne doutais pas qu’il ne me fût possible de conclure cette union. — Vain flatteur, » dit Zarah, qui paraissait néanmoins apaisée par la flatterie qu’elle condamnait ; « oui, vous cherchiez en effet à me persuader que, selon toute apparence, le duc m’offrirait l’hommage d’un amour honorable. Comment avez-vous pu faire l’essai d’une déception si grossière, que le temps, le lieu et la circonstance allaient dévoiler ? Comment osez-vous encore m’en parler, lorsque vous savez parfaitement qu’au moment dont il s’agit la duchesse vivait encore ? — Elle vivait, mais sur son lit de mort, dit Christian ; et quant au temps, au lieu et à la conjoncture, si ta vertu, ma Zarah, en avait dépendu, comment serais-tu la créature que j’admire ? Je savais que tu étais parfaitement capable de le défier ; autrement (car tu m’es plus chère que tu ne le penses), je ne t’aurais pas exposée pour gagner le duc de Buckingham, même avec le royaume d’Angleterre par-dessus le marché. Ainsi, maintenant veux-tu te laisser diriger, et continuer de me seconder ?