Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/539

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mis ma personne en un si grand péril sans moyens de défense. Je puis succomber ; mais hélas ! la correspondance de Votre Grâce est entre des mains qui, dans ce cas, seraient assez actives pour les faire parvenir au roi et au conseil privé. Que dites-vous de la princesse de Mauritanie ? milord. Si par hasard je l’avais constituée exécutrice de mes volontés dernières, avec certaines instructions sur ce qu’elle doit faire si je ne reviens pas sain et sauf d’York-Place ? Allez, milord, je savais qu’en venant ici je mettais ma tête dans la gueule du loup : aussi n’ai-je pas été assez sot pour n’avoir point veillé à ce qu’un bon nombre de carabines fissent feu sur la bête aussitôt que mon cri de mort retentirait. Ah ! milord duc, vous avez affaire à un homme de sens et de courage ; et pourtant vous le traitez comme un enfant et un lâche. »

Le duc se jeta sur un fauteuil, baissa les yeux à terre, et, sans les relever, dit : « Je vais appeler Jerningham ; mais ne craignez rien : c’est seulement pour un verre de vin ; le flacon que voici sur la table contient une liqueur bonne pour faire passer des noisettes et des noix, mais insuffisante pour un entretien comme le vôtre. Apportez-moi du Champagne, » dit-il au chambellan qui vint prendre ses ordres.

Jerningham revint et apporta un flacon de Champagne avec deux grandes coupes d’argent. Il en remplit une pour Buckingham, qui, contrairement à l’étiquette ordinaire, était toujours servi le premier dans sa maison, et offrit l’autre à Christian, qui ne voulut pas l’accepter.

Le duc avala le large gobelet qui lui était présenté, et se couvrit un moment le front avec la main ; puis la retirant aussitôt, il dit : « Christian, expliquez-vous avec clarté ; nous nous connaissons l’un l’autre. Si ma réputation est entre vos mains, vous n’ignorez pas que votre vie est entre les miennes. Asseyez-vous, » continua-t-il en tirant un pistolet de son sein et en le posant sur la table, « asseyez-vous, et que j’entende vos propositions. — Milord, » dit Christian avec un sourire, « je ne produirai pas de mon côté un argument de même force, quoiqu’il soit possible qu’au besoin je ne m’en trouve pas dépourvu ; mais ma défense est dans la situation des choses et dans la manière sage et raisonnable dont Votre Majesté les envisagera sans doute. — Ma Majesté ! répéta le duc ; mon cher ami Christian, vous avez si long-temps fréquenté les puritains, que vous confondez les titres en usage à la cour. — Je ne sais comment m’excuser, répondit Christian, à