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Sir Peveril, dont l’esprit était occupé de tout autre chose, ne tint pas compte des avances du nain ; il s’assit avec la ferme résolution d’étouffer plutôt que de laisser échapper aucun signe d’émotion en présence des têtes-rondes et des presbytériens : car, trop vieux pour adopter les nouvelles dénominations de parti, il appliquait ces noms injurieux à toutes les personnes qui prenaient part à son procès.

Par ce changement de position, la tête de sir Geoffrey le Grand se trouva au même niveau que celle de sir Geoffrey le Petit, qui profita de cette occasion pour le tirer par son habit. Le seigneur de Martindale, par un mouvement plutôt mécanique que volontaire, se tourna vers la figure large et ridée du nain qui, partagé entre le soin de se donner un air d’importance et d’aisance et le désir de se faire remarquer, grimaçait à deux pas de lui. Mais ni ce visage singulier, ni les sourires de reconnaissance et les minauderies qui le contractaient, ni le corps petit et difforme du personnage, n’eurent en ce moment le pouvoir d’éveiller les souvenirs du vieux chevalier ; et, après avoir regardé quelques moments en face cette petite créature, il lui tourna brusquement le dos, sans s’en inquiéter davantage.

Julien de Peveril, qui avait plus récemment fait connaissance avec le nain, malgré les sentiments pénibles qui l’agitaient en ce moment, éprouva un mouvement de pitié pour les infortunes de son petit compagnon. Aussitôt qu’il l’aperçut, assis, comme lui, sur le terrible banc des accusés, quoiqu’il ne pût deviner quel rapport leurs causes pouvaient avoir l’une avec l’autre, il lui tendit cordialement la main, marque d’amitié que le petit vieillard reçut avec une dignité affectée, mais aussi avec une sincère gratitude. « Digne jeune homme, lui dit-il, votre présence est un baume salutaire, comme le nepenthe d’Homère ; mais dans cette crise commune de nos destinées, je m’afflige de voir que l’âme de votre père n’a pas conservé autant de liberté que les nôtres, qui sont logées dans une plus étroite demeure, et qu’il oublie un ancien camarade, un compagnon d’armes assis maintenant à ses côtés pour faire peut-être avec lui sa dernière campagne. »

Julien répondit en peu de mots que son père était en ce moment absorbé par d’autres pensées. Mais le petit homme qui, pour lui rendre justice, ne s’inquiétait pas plus, comme il le disait lui-même, de la mort qui le menaçait que de la piqûre d’une proboscide de puce, ne renonça pas si facilement à l’objet de sa secrète