Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/500

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Tandis que les yeux de Buckingham suivaient la direction du doigt de d’Ormond, il ne put s’empêcher de rougir au point d’attirer l’attention du roi.

« Quelle nouvelle folie est-ce là ? George ; lui dit-il. Messieurs, laissez approcher cet homme. Sur mon âme, il a toute la mine d’un véritable coupe-jarret. L’ami, qui êtes-vous ? Si vous êtes un honnête homme, la nature a oublié de l’écrire sur votre visage. N’y a-t-il ici personne qui le connaisse ?

Avec tous les dehors d’un homme sans honneur,
S’il en a, c’est toujours un insigne trompeur.

— Bien des gens le connaissent, répondit d’Ormond ; et s’il se promène ici, la tête sur les épaules, et sans avoir les fers aux pieds, c’est un exemple de plus, après tant d’autres, que nous vivons sous le prince le plus clément de l’Europe. — Comment diable ! quel est cet homme, milord duc, dit le roi. Votre Grâce parle par énigmes. Buckingham rougit, et le coquin ne desserre pas les dents. — N’en déplaise à Votre Majesté, dit d’Ormond, cet honnête gentleman, que sa modestie rend muet, mais qu’elle ne peut faire rougir, est le fameux colonel Blood, comme il se nomme lui-même, qui essaya, il n’y a pas long-temps, dans cette même tour de Londres, de s’emparer de la couronne royale de Votre Majesté. — C’est un exploit qui ne s’oublie pas aisément, dit le roi ; mais si le coupable est encore en vie, il le doit autant à la clémence de Votre Grâce qu’à la mienne. — Je ne puis nier, répondit le duc, que j’étais en son pouvoir ; et certainement j’aurais été assassiné par lui, s’il eût préféré me tuer sur-le-champ, au lieu de me garder, je le remercie de l’honneur, pour être pendu à Tyburn. J’aurais sûrement été expédié, s’il m’eût jugé digne d’un coup de stylet, d’une balle de pistolet, ou de toute autre chose qu’un bout de corde. Regardez-le, sire : s’il osait, le coquin dirait en ce moment, comme Caliban[1] dans la comédie : Oh ! je voudrais bien l’avoir fait. — Comment diable ! il a sur les lèvres un mauvais sourire, qui me semble en dire tout autant. Mais, milord, nous lui avons pardonné, et vous aussi. — Me convenait-il, répondit le duc, de poursuivre avec sévérité un attentat contre ma pauvre vie, quand Votre Majesté voulait bien pardonner le crime, cent fois plus grand, d’avoir attenté à votre royale couronne ? Mais je ne puis m’empêcher de regarder comme un acte de la plus audacieuse insolence, de la part de ce coquin sanguinaire, quelles que

  1. Personnage de la Tempête de Shakspeare. a. m.