Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/484

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corps que l’on pût voir distinctement : tout le reste était recouvert de la tête aux pieds, par un long voile de gaze d’argent qui, comme un léger brouillard répandu sur un joli paysage, permettait de conjecturer quels charmes il cachait, et portait même l’imagination à se les exagérer. Les autres parties de son habillement qu’on pouvait apercevoir étaient, comme le voile et le pantalon, dans le goût oriental ; un riche turban, un cafetan magnifique étaient plutôt indiqués que vus distinctement à travers les plis du voile. Tout dans cette parure annonçait au moins de la coquetterie de la part d’une belle qui devait s’être attendue, d’après les lieux où elle était logée, à un visiteur de quelque prétention : aussi Buckingham ne put-il s’empêcher de rire intérieurement du conte que Christian avait osé lui faire sur l’extrême simplicité et l’innocence de sa nièce.

Il s’approcha cavalièrement de la jeune personne, et lui parlant avec l’air d’un homme qui est persuadé que s’il veut bien reconnaître sa faute, cette condescendance doit suffire pour la faire pardonner : « Belle Alice, dit-il, je sens combien j’ai d’excuses à vous faire pour le zèle indiscret de mes gens, qui, vous voyant abandonnée et sans protection pendant une malheureuse querelle, ont pris sur eux de vous amener dans la maison d’un homme qui exposerait sa vie plutôt que de vous donner un moment d’inquiétude. Est-ce ma faute si ces mêmes gens ont jugé nécessaire d’intervenir pour vous sauver, ou si, connaissant l’intérêt que je devais prendre à vous, ils vous ont retenue ici jusqu’à ce que je pusse venir en personne recevoir vos ordres ? — Vous n’avez pas été fort empressée me rendre visite, roi lord. Il y a deux jours que je suis prisonnière, négligée, abandonnée à des soins mercenaires. — Que dites-vous ? ma belle ; négligée ; par le ciel ! si le plus ancien de mes serviteurs vous avait manqué le moins du monde, je le chasserais à l’instant de ma maison. — Je ne me plains pas qu’aucun de vos gens ait manqué de politesse à mon égard, milord ; mais il eût été convenable, je crois, que le duc lui-même fût venu m’expliquer plus tôt pourquoi il a eu la hardiesse de me retenir comme une prisonnière d’état. — Ah ! la divine Alice peut-elle penser que, si le temps et la distance, ces deux plus cruels ennemis des tendres passions, me l’eussent permis, l’instant où vous avez passé le seuil de la porte de votre vassal n’en eût aussi vu à vos pieds le maître qui vous est tout dévoué, et qui n’a plus pensé qu’à vos charmes depuis cette matinée fatale où pour la