Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des oncles et des tuteurs. Que votre nièce passe par autant d’aventures que la fiancée du roi de Garbe, dans Boccace, peu vous importe : pure ou souillée, elle servira toujours de marchepied à votre fortune. »

Un proverbe indien dit que le dard du mépris perce même l’écaille de la tortue ; mais la chose arrive surtout lorsque la conscience dit que le sarcasme est justement mérité. Christian, blessé du reproche de Buckingham, prit un air à la fois hautain et menaçant, tout à fait inconvenant dans sa position qui, de même que celle de Shylock[1], semblait lui commander la patience. « Vous êtes un misérable, un homme indigne, milord, s’écria-t-il, et je vous proclamerai comme tel, à moins que vous ne me fassiez réparation de cette grave insulte. — Et moi, qui proclamerai-je que vous êtes, répliqua le duc de Buckingham, pour expliquer l’attention que daigne vous accorder un homme de mon rang ? De quel nom dois-je appeler la petite intrigue qui a donné lieu à cette mésintelligence inattendue ? »

Christian garda le silence, suffoqué par la rage ou accablé par sa conviction intérieure.

« Allons, allons ! Christian, » dit le duc en riant, « nous nous connaissons trop bien l’un l’autre, pour pouvoir nous quereller sans péril. Nous détester, chercher réciproquement à nous nuire, à la bonne heure ; c’est l’usage des cours : mais faire connaître qui nous sommes, ah ! fi ! — Je n’en suis venu là, dit Christian, que poussé à bout par Votre Grâce. Vous savez, milord, que j’ai servi en Angleterre ainsi que sur le continent, et vous n’aurez pas la témérité de croire que j’endurerai jamais un affront que le sang peut effacer. — Au contraire, » répliqua le duc, toujours d’un air poli, mais ironique, « je puis dire en toute assurance que la vie d’une douzaine de vos amis vous semblerait peu de chose, Christian, si leur existence pouvait porter préjudice, je ne dirai pas à votre honneur, mais à vos intérêts. Fi donc, mon cher ! il a long-temps que nous nous connaissons. Je ne vous ai jamais cru lâche, et je suis content de voir que je puis tirer de votre âme froide et calme quelques étincelles de chaleur. Je vais maintenant, si vous le désirez, vous donner des nouvelles de la jeune personne, à qui je vous conjure de croire que je m’intéresse véritablement. — Je vous écoute, milord duc. Mais le pli de votre lèvre supérieure et

  1. Personnage du Marchand de Venise, de Shakspeare. a. m.