Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/470

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tites manières à elle si séduisantes, que, sur ma foi ! à votre place, je ne voudrais pas m’y frotter. Le grand mal, après tout, qu’ils vous aient refusé leur porte ! nous en faisons tout autant parfois à nos meilleurs amis, aussi bien qu’à des créanciers et à des importuns. — Si Votre Grâce est en train de plaisanter ainsi sans motifs, vous connaissez ma vieille vertu de patience, je puis attendre que votre bon plaisir soit de parler plus sérieusement. — Sérieusement ! et pourquoi non ? Je voudrais seulement savoir quelle peut être l’affaire sérieuse qui vous amène. — Bref, milord, comme Chiffinch a refusé de me voir, et que même je me suis présenté plusieurs fois à la porte de Votre Grâce, je crains ou que notre plan n’ait échoué, ou qu’on ne veuille se passer de moi pour conduire cette affaire à son terme. » Christian prononça ces mots avec beaucoup d’emphase.

« Il y aurait extravagance aussi bien que trahison, répliqua le duc, à exclure du butin l’ingénieur qui a conduit l’attaque. Mais écoutez-moi, Christian : je suis fâché d’avoir à vous annoncer de mauvaises nouvelles sans pouvoir vous y préparer ; puisque vous insistez pour tout apprendre, et que vous n’êtes pas honteux de soupçonner vos meilleurs amis, ils vont parler : votre nièce a quitté la maison de Chiffinch avant-hier au matin. »

Christian recula comme s’il eût reçu un coup violent, et le sang lui monta au visage avec tant d’impétuosité que le duc crut qu’il était frappé d’apoplexie. Mais appelant à son secours cet empire qu’il savait prendre sur lui-même dans les circonstances les plus critiques, il dit d’une voix dont le calme contrastait singulièrement avec l’altération de ses traits : « Dois-je en conclure que cette jeune fille, en renonçant à la protection du toit sous lequel je l’avais placée, a trouvé un abri sous celui de votre Grâce ? — Monsieur, cette supposition fait à ma galanterie plus d’honneur qu’elle n’en mérite. — Oh ! milord duc, je ne suis pas homme, moi, à m’en laisser imposer par ce jargon de cour. Je sais de quoi est capable Votre Grâce, et je n’ignore pas que, pour satisfaire un caprice d’un moment, vous ne balanceriez pas à renoncer aux projets qui vous ont déjà coûté tant de peine. Supposons que le tour ait été joué : riez à votre aise des précautions par lesquelles je voulais servir les intérêts de Votre Grâce et ceux de tant d’autres ; mais dites au moins jusqu’où est allée votre folie, et avisons au moyen d’en prévenir les suites. — Sur ma parole ! Christian, » dit le duc en riant, « vous êtes le plus accommodant