Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/468

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ce une raison pour moi de changer si souvent. On aime à justifier sa conduite et à trouver de bons motifs d’avoir fait ce qu’on avait envie de faire. Maintenant, encore une fois, va-t’en. Un moment ! écoute-moi, écoute bien : j’aurais besoin de quelques pièces d’or. Tu peux me rendre la bourse que je t’ai donnée, et je te ferai un mandat pour même somme, avec l’intérêt de deux ans, sur le vieux Jacob Doublefee. — Comme il plaira à Votre Grâce, » répliqua Jerningham, toute sa provision de complaisance ne suffisant qu’à peine pour cacher la mortification qu’il éprouvait d’échanger contre un bon à long terme, et sur un homme qu’il savait par expérience ne pas toujours faire honneur à sa signature, le contenu brillant de la bourse qu’il avait déjà mise dans sa poche. Il fit en secret, mais solennellement, le vœu que l’intérêt seul de deux années ne compenserait pas le changement fait contre son gré dans la forme de la récompense.

Le confident peu satisfait, se retirant enfin, rencontra en haut du grand escalier Christian lui-même, qui, usant de la liberté d’un ancien ami de la maison, se dirigeait, sans prendre la peine de se faire annoncer, vers l’appartement du duc. Jerningham, conjecturant que sa visite en ce moment critique ne serait rien moins qu’agréable et viendrait fort mal à propos, tâcha de le congédier, en lui assurant que le duc était indisposé et dans sa chambre à coucher ; il parla même assez haut pour que son maître pût l’entendre et profitât, si bon lui semblait, de l’excuse alléguée en son nom, en se retirant dans sa chambre à coucher comme dans un dernier retranchement où les verrous le protégeraient contre les fâcheux.

Mais loin d’adopter un stratagème auquel il avait eu recours en maintes occasions semblables, afin d’éviter les personnes qui venaient le trouver quoiqu’à une heure convenue et pour des affaires d’importance, Buckingham appela à haute voix du fond de son appartement, et ordonna à son chambellan d’introduire tout de suite son bon ami M. Christian, le réprimandant de ce qu’il avait hésité un instant à le faire.

« Oh ! » pensa Jerningham en lui-même, « si Christian connaissait le duc aussi bien que moi, il braverait la fureur d’un lion, comme le courageux apprenti de Londres, plutôt que de se hasarder à paraître en ce moment devant mon maître, qui est présentement d’une humeur presque aussi dangereuse. »

Il introduisit alors Christian chez le duc, et eut soin de se placer à la porte de manière à tout entendre.