Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/467

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plaisir de cette complication d’intrigue, c’est de me venger de ce maraud qui s’est cru si essentiel, que, sur mon âme ! il est entré de force chez moi, et m’a sermonné comme un écolier. À tous les diables donc cet impudent, ce coquin froid et hypocrite ! S’il murmure, je lui ferai fendre le nez aussi large que celui de Coventry. Dites-moi, le colonel est-il venu ? — Je l’attends à chaque instant, milord. — Envoyez-le-moi dès qu’il arrivera. Eh bien ! pourquoi me regardez-vous avec cet air ébahi ? Que voulez-vous donc ? — Vos ordres, milord, relativement à la jeune personne. — Corbleu ! je l’avais complètement oubliée. Est-elle bien en larmes ?… extrêmement affligée ? — Elle ne prend pas les choses aussi violemment que j’ai vu d’autres demoiselles les prendre ; mais pour une indignation vive, ferme et concentrée, je n’ai jamais rien vu de pareil. — Eh bien ! nous la laisserons se calmer. Je n’affronterai pas tout de suite l’affliction d’une seconde belle. Je suis pour quelque temps las des yeux rouges et gros, ainsi que des traits gonflés. Je dois d’ailleurs ménager mes moyens de consolation. Allez, et envoyez-moi le colonel. — Votre Grâce me permettra-t-elle une autre question ? — Demandez-moi ce qu’il vous plaira, Jerningham, et ensuite allez-vous-en. — Votre Grâce résolu d’abandonner Christian : puis-je demander ce que devient le royaume de Man ? — Oublié, aussi vrai que j’ai une âme de chrétien ! aussi totalement oublié que si jamais je n’avais formé ce projet d’ambition royale. Diable ! il s’agit de rattacher les fils rompus de cette intrigue. Pourtant ce n’est qu’un misérable roc qui ne vaut pas la peine que je me suis donnée pour lui ! Et quant au mot royaume, il sonne bien en vérité, mais au fond, je pourrais aussi bien mettre à mon chapeau une plume de chapon et l’appeler un panache. En outre, à présent que j’y pense, il ne serait guère honorable d’enlever ainsi ce petit royaume aux Derby. J’ai gagné mille pièces d’or au jeune comte la dernière fois qu’il était ici, et j’ai souffert qu’il se présentât à la cour pendu à mon côté. Je doute que le revenu total de son royaume vaille le double de cette somme. S’il était ici, je parviendrais bien à lui gagner aussi son île, et avec moins de peine qu’il ne m’en faudrait pour suivre les ennuyeuses intrigues de Christian. — S’il peut m’être permis d’exprimer ma pensée, je vous dirai, milord, que, si vous êtes parfois susceptible de changer d’opinion, il n’existe pas d’homme en Angleterre qui puisse en donner d’aussi bonnes raisons que vous. — Je le pense aussi, Jerningham, et peut-être est-