Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/459

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tandis que les employés de la Tour et les matelots qui avaient menacé de leur barrer le passage s’envoyaient réciproquement une bordée d’imprécations.

« L’inconnu a tenu parole, se dit Julien ; j’ai aussi tenu la mienne. »

Il lui sembla même, lorsque les barques s’approchèrent, entendre dans celle qui venait sur eux une espèce de soupir ou de gémissement étouffé ; et quand ce moment d’alarme fut passé, il demanda au gardien qui était près de lui, quelle était cette barque.

« Des marins de quelque vaisseau de ligne qui font leurs farces, je suppose, répondit le gardien ; car personne autre, que je sache, ne serait assez imprudent pour oser courir sur une barque du roi ; et je suis sûr que le drôle qui tenait le gouvernail en avait l’intention. Mais peut-être, monsieur, en savez-vous plus que moi à ce sujet. »

Cette insinuation empêcha Julien de faire d’autres questions, et il resta silencieux jusqu’à ce que la barque arrivât sous les sombres bastions de la Tour. La marée les conduisit sous une arche basse et obscure que ferme à son extrémité la porte bien connue dite des Traîtres, formée comme un guichet de grosses barres de bois croisées, à travers lesquelles on pouvait apercevoir, quoique assez confusément, les soldats et les gardiens à leur poste, ainsi que le sentier rapide qui monte de la rivière dans l’intérieur de la forteresse. C’était par cette porte (et cette circonstance bien connue lui a valu son nom) que les personnes accusées de crimes d’état entraient ordinairement dans la Tour. La Tamise offrait un moyen secret et silencieux d’y transporter ceux dont la chute aurait pu exciter la commisération, ou la popularité émouvoir trop vivement la sympathie du public, et quand même il n’y avait aucune raison de dissimuler, le calme de la ville n’était pas troublé par le tumulte qui accompagne d’habitude le passage d’un prisonnier et de ses gardes par les rues les plus fréquentées.

Cependant cette coutume commandée par la politique doit avoir souvent glacé le cœur du prisonnier qui, dérobé, pour ainsi dire, à la société, arrivait au lieu de sa détention sans même rencontrer un regard de compassion sur la route ; et lorsque, sortant de dessous cette arche ténébreuse, il débarquait sur ces marches taillées dans le roc, usées par les pas d’autres infortunés tels que lui, et contre lesquelles la marée poussait continuellement ses petites vagues, lorsqu’ensuite il regardait devant lui cette montée raide qui menait à une prison d’état gothique, et derrière lui cette par-