Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/457

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ami, et rendez témoignage, à la vie et à la mort, que Geoffrey Hudson méprise les outrages et les persécutions de la fortune, comme il dédaignerait, comme il a souvent dédaigné les railleries malignes d’un grand écolier. »

À ces mots, il se détourna et se cacha la figure dans son petit mouchoir, tandis que Julien éprouvait à son égard cette sensation tragico-comique qui nous émeut de pitié pour l’objet qui l’excite, et nous donne, malgré notre sympathie, une envie de rire difficile à réprimer. Au signal du porte-clefs, Julien obéit, laissant le nain inconsolable dans la solitude.

Pendant que Julien suivait le guichetier à travers les nombreux détours de ce labyrinthe d’affliction, son guide observa que c’était un véritable gaillard que le petit sir Geoffroy, et pour la galanterie un vrai coq de Bantam, tout vieux qu’il était. « J’ai connu, ajouta-t-il, certaine drôlesse qui l’a fait mordre à l’hameçon : mais que pouvait-elle en faire, à moins de le conduire à Smithfield et de l’y montrer pour de l’argent, comme on fait d’un spectacle de marionnettes ? En vérité, je n’en sais rien. »

Encouragé par cette ouverture, Julien demanda au porte-clefs s’il savait pourquoi on le changeait de prison. « Pour vous apprendre à faire le facteur du roi sans brevet, » répondit Clink.

Julien retint sa langue, car ils approchaient de ce formidable point central où était couché dans son fauteuil de cuir le gras commandant de la forteresse, apparemment installé pour toujours au milieu de sa citadelle, comme l’énorme boa se couche parfois, dit-on, sur les trésors souterrains des rajahs de l’Orient, pour les garder. Le corpulent fonctionnaire regarda Julien d’un air sombre et morose, comme l’avare regarde la guinée dont il va se séparer, ou le dogue affamé la nourriture qu’on porte à un autre chenil. En tournant les feuillets de son fatal registre pour y noter, comme l’exigeait son devoir, la translation du prisonnier, il grommelait entre ses dents. « À la Tour ! à la Tour ! Oui, oui, il faut que tout aille à la Tour ; c’est maintenant la mode… Des Anglais libres dans une prison militaire ! comme si nous n’avions ni verrous ni chaînes ici. J’espère que le parlement s’occupera de cette besogne de la Tour ; je n’en dis pas davantage. En tous cas, le jeune homme ne gagnera rien au change, et c’est une consolation. »

Terminant en même temps cet acte officiel d’enregistrement et son soliloque, il fit signe à ses gens d’emmener Julien, qui