Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/45

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aucunement de quelle manière lui viendraient les provisions. Depuis le siège de Martindale, on n’avait pas vu de daims dans le parc du château ; le pigeonnier n’offrait que bien peu de ressources pour un pareil festin ; le vivier était, à la vérité, abondamment fourni de poisson, chose que les presbytériens regardaient comme fort suspecte ; et quant au gibier, on pouvait facilement, par le moyen de la chasse, se le procurer sur les montagnes et dans les bruyères du Derbyshire : mais ce n’était là que la partie secondaire d’un banquet, et l’intendant et le bailli, seuls coadjuteurs et conseillers de lady Peveril, ne savaient comment se procurer la viande de boucherie, qui était la partie la plus substantielle du repas et sa base véritable. Le maître-d’hôtel menaçait d’immoler un bel attelage de jeunes bœufs, sacrifice contre lequel se récriait opiniâtrement le bailli, qui objectait la nécessité de leurs services pour les travaux de l’agriculture ; et lady Peveril, malgré la douceur de son caractère et sa soumission comme épouse, ne pouvait s’empêcher d’éprouver quelques mouvements d’humeur, et de faire quelques réflexions sur l’imprévoyance de son mari, qui la mettait dans une situation aussi embarrassante.

De telles réflexions paraissent tout au plus fondées, si l’on suppose qu’un homme ne doive être responsable que des résolutions qu’il prend lorsqu’il est parfaitement maître de lui-même. La loyauté de sir Geoffrey, comme celle de beaucoup de personnes dans la même situation que lui, à force d’espérances et de craintes, de victoires et de défaites, de luttes et de souffrances, provenant de la même cause, et roulant toujours sur le même pivot, avait pris le caractère ardent de l’enthousiasme et de la passion, et le changement de fortune singulier et surprenant qui venait non seulement de satisfaire, mais encore de surpasser ses plus chers désirs, le plongea pendant quelque temps dans cette espèce d’ivresse et de ravissement qui sembla s’étendre sur tout le royaume. Sir Geoffrey avait vu Charles et ses frères, et il avait été reçu par le joyeux monarque avec cette urbanité franche et gracieuse qui séduisait quiconque s’approchait de lui. On avait reconnu hautement les services qu’avait rendus le chevalier ; on s’était étendu sur son mérite ; et si des promesses n’avaient pas été faites d’une manière bien positive, du moins avait-on parlé de récompense. C’en était plus qu’il ne fallait pour monter au plus haut point l’esprit déjà exalté de sir Geoffrey ; et l’on concevra sans peine que, dans l’excès de son enthousiasme, il ne songeât point à s’inquiéter