Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/436

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sa petitesse, est mille fois plus précieux qu’une masse de granit mille fois plus considérable. Cependant elles n’agissaient ainsi envers moi que par excès de bonne humeur, et comme par devoir autant que par reconnaissance, je ne pouvais riposter ; il me fallut chercher un moyen de venger mon honneur sur ceux qui, bien que confondus ainsi que moi dans la foule des serviteurs et des courtisans, se comportaient néanmoins à mon égard comme s’ils avaient été d’une classe supérieure par le rang et les dignités, aussi bien que par la circonstance accidentelle de la taille. Et comme si c’eût été une leçon réservée à mon orgueil et à celui des autres, il arriva que l’exploit dont je vous ai fait le récit… et que je considère comme ce qu’il y a de plus glorieux dans ma vie, excepté peut-être la part honorable que je pris à la bataille de Round-Way-Down, devint la cause d’un bien tragique événement ; que je regarde comme la plus grande infortune de mon existence. »

Le nain s’arrêta ici, poussa un gros soupir qui marquait ses regrets ; et avec l’importance qui convenait à une histoire tragique, il continua de la manière suivante :

« Vous auriez cru dans votre simplicité, jeune homme, que la prouesse dont je viens de vous entretenir n’aurait pu être citée qu’à mon avantage, comme une mascarade vraiment rare, joliment imaginée et non moins heureusement exécutée, et cependant la malice des courtisans, qui se mouraient de jalousie et de désespoir, donnant un libre cours à leur humeur sardonique, ils épuisèrent leur fonds d’esprit pour me tourner en ridicule de toutes les manières. Bref, mes oreilles furent tellement blessées d’allusions aux pâtés, aux croûtes et aux fours, que je fus forcé d’interdire un tel sujet de plaisanteries, avec menaces de faire sentir immédiatement tout le poids de mon déplaisir. Mais il arriva qu’il y avait alors à la cour un jeune homme de bonne famille, fils d’un chevalier banneret, et jouissant de la plus haute estime, lequel même était mon ami particulier, et de qui par conséquent je n’avais pas lieu d’attendre ce genre de raillerie offensante. Cependant un soir, chez le portier du château, comme il était un peu gris et en train de plaisanter, il lui plut de revenir sur ce sujet rebattu, et de dire, à propos d’un pâté d’oie, des choses que je ne pus m’empêcher de prendre pour moi. Je le priai néanmoins d’un ton calme et ferme de choisir un autre sujet, faute de quoi il éprouverait bientôt les effets de ma colère. Mais il continua sur le