Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/43

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m’impose la loi de me laisser diriger par vous dans tout ce que me permettra ma conscience. — Puisque vous voulez bien m’accorder une telle influence, reprit lady Peveril, je l’exercerai avec modération, afin de vous donner du moins par cette conduite une idée favorable du nouvel ordre de choses. Si vous voulez, donc bien vous considérer comme soumis à mon autorité pendant un jour seulement, voisin, je vais, d’après les ordres de sir Geoffrey, inviter le voisinage à assister à une fête solennelle que je donnerai jeudi prochain au château ; et je vous prie non seulement de l’honorer de votre présence, mais encore d’engager votre digne pasteur et tous vos amis, de quelque rang qu’ils soient, à se réunir à nous, afin de prendre part à la joie générale causée par la restauration du roi, et de prouver par là qu’ici comme partout il n’y a que des sujets unis par un même sentiment. »

L’ancien partisan du parlement de Cromwell fut singulièrement embarrassé par cette proposition. Ses regards incertains s’arrêtèrent d’abord sur le plafond boisé en chêne, se fixèrent ensuite sur le plancher, puis errèrent autour de la salle, jusqu’au moment où ils tombèrent enfin sur sa fille, dont la vue fit prendre à ses réflexions une direction meilleure que n’avaient pu le faire tous les objets qu’il semblait avoir interrogés jusque-là.

« Madame, répondit-il, je suis depuis long-temps étranger aux fêtes, peut-être par l’effet d’un caractère naturellement mélancolique, peut-être par suite de l’abattement qui doit être permis à un homme que le malheur a visité, et dont l’oreille doit trouver les sons bruyants de la joie aussi discordants pour elle que le lui paraîtrait l’air le plus mélodieux sur un instrument désaccordé ; pourtant, bien que peu propre à la joie, soit par disposition naturelle, soit par l’effet de mes tristes pensées, je n’en dois pas moins de reconnaissance au ciel pour les faveurs dont il m’a comblé par vous, milady. David, l’homme si cher au Seigneur, but et mangea lorsqu’il eut appris que son enfant chéri lui avait été enlevé : pourrais-je ne pas laisser éclater ma reconnaissance pour le bienfait que j’ai reçu, lorsque le serviteur de Dieu a montré tant de résignation au milieu même de sa douleur ? J’accepte donc votre gracieuse invitation, milady, et pour moi et pour tous ceux de mes amis dont la présence peut vous être agréable, et sur lesquels je puis avoir quelque influence. Ils m’accompagneront et assisteront à cette fête, afin que notre Israël ne forme plus qu’un même peuple. »