Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/423

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ractère dur a fini par laisser habituellement son empreinte. Il semble avoir démenti le vieux proverbe, et s’être engraissé sous l’influence des plus ignobles penchants. Nous pourrons accorder à un joyeux mortel un peu d’emportement ; mais il semble contre nature qu’un bon vivant soit taciturne et brutal. Or, les traits sourcilleux de cet homme, son teint couleur de suif, ses membres épais et disproportionnés, son énorme et disgracieux embonpoint, donnaient à penser qu’après s’être un jour introduit dans cette retraite centrale, il s’y était engraissé comme la belette de la fable ; qu’il y avait mangé à tort et à travers, au point de devenir incapable de se retirer par aucun des étroits passages qui aboutissaient à sa cellule, et qu’il était forcé d’y rester comme un crapaud emprisonné sous une froide pierre, aspirant l’air fétide des cachots qui l’entouraient, et qui aurait été pestilentiel pour tout autre qu’un habitué du lieu. Devant ce monstrueux échantillon d’obésité, on voyait placés de gros registres à fermoirs de fer, annales de ce royaume de misères, où il commandait comme premier ministre ; et si Peveril eût pénétré dans cette prison sans intérêt personnel, son cœur se serait soulevé en considérant la masse épouvantable de calamités humaines entassées dans ces tristes volumes. Mais son propre malheur lui pesait trop sur l’esprit pour qu’il se livrât à des réflexions générales de cette nature. Le constable et l’officier ventru s’entretinrent à voix basse, après que le premier eut remis au second la sentence d’emprisonnement portée contre Julien. À voix basse n’est pas l’expression convenable, car leur conversation se fit moins en paroles qu’en regards et en gestes significatifs, moyens par lesquels les hommes, dans toutes les situations semblables, apprennent à suppléer au langage, et ajoutent ainsi du mystère à ce qui est déjà suffisamment redoutable pour un captif. Les seuls mots que Peveril put entendre furent prononcés par le geôlier, ou, comme on l’appelait alors, le capitaine de la prison : « Un autre oiseau à mettre en cage ? — Et qui sifflera : Gentil pape de Rome, avec tous les étourneaux confiés à vos bons soins, » répondit le constable d’un air facétieux, mais retenu pourtant par le respect dû à la présence du supérieur devant lequel il se trouvait.

Les traits farouches du capitaine se relâchèrent au point de laisser paraître un sourire, lorsqu’il entendit l’observation du constable ; mais reprenant aussitôt la gravité sombre dont il s’était départi un instant, il regarda fièrement son nouvel hôte, et pro-