Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/409

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la vertu sur le vice, dit Julien, et aucun pouvoir humain, si ce n’est la volonté d’un père, ne vous arrachera de ses mains, quand vous aurez consenti à la choisir pour protectrice. Venez donc, Alice, venez avec moi, et… » Julien fut interrompu par quelqu’un qui, ayant saisi sans cérémonie la basque de son habit, la tirait avec tant de force qu’il fut contraint de s’arrêter en portant la main à son épée. Il se retourna et aperçut la petite muette. Les joues de Fenella étaient enflammées, ses yeux étincelaient, et ses lèvres étaient collées l’une à l’autre, comme si elle se fût efforcée de comprimer les cris par lesquels elle exprimait ordinairement les angoisses de son âme, et qui, dans la rue, auraient promptement attiré la foule. Son extérieur était si singulier, et son émotion si évidente, que les gens qui passaient la considéraient, et tournaient encore la tête après avoir passé, dans l’étonnement que leur causait l’étrange vivacité de ses gestes, tandis que d’une main tenant l’habit de Peveril, de l’autre elle faisait les signes les plus vifs et les plus impérieux pour qu’il laissât Alice Bridgenorth et qu’il la suivît. Elle touchait la plume de son bonnet pour lui rappeler le comte, montrait son cœur pour désigner la comtesse, levait une de ses mains fermées, comme pour lui commander en leur nom, les joignait ensuite, eu le suppliant pour elle-même ; puis regardant Alice avec une expression de dérision à la fois amère et insultante, elle agitait sa main pour ordonner à Peveril de l’abandonner comme un être indigne de sa protection.

Effrayée, sans savoir pourquoi, de ces gestes bizarres, Alice étreignit le bras de Julien plus qu’elle n’avait osé le faire jusque-là ; et cette marque de confiance en sa protection parut accroître la colère de Fenella.

Julien était horriblement embarrassé : sa situation était difficile, même avant que la colère indomptable de Fenella eût menacé de détruire le seul plan qu’il eût été capable de former. Que voulait-elle de lui ? Jusqu’à quel point le sort du comte et de la comtesse pouvait-il dépendre de sa docilité à la suivre ? c’est ce qu’il ne pouvait pas même imaginer ; mais si péremptoire que fût l’ordre, il résolut de ne pas s’y soumettre avant d’avoir placé Alice en lieu sûr. Cependant il se promit bien de ne pas perdre Fenella de vue ; et malgré les refus réitérés, dédaigneux et violents qu’elle fit de prendre la main qu’il lui offrait, il sembla l’avoir enfin tellement apaisée, qu’elle lui saisit le bras droit, et comme désespérant de déterminer Julien à la suivre, parut elle-même