Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/402

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sa fureur, et je prie Dieu que moi et les miens ne soyons pas appelés à en répondre. Je ne veux plus me laisser entraîner par le torrent : l’honneur et ma conscience m’imposent le devoir d’y opposer une digue. Je veux agir en souverain, je veux empêcher mon peuple de commettre l’injustice, dussé-je lui déplaire.

Charles marchait précipitamment dans la chambre en exprimant avec une énergie peu ordinaire ces sentiments inaccoutumés. Après un court silence, le duc répondit avec gravité : « C’est parler en roi, sire ; mais, pardonnez-moi, non en roi d’Angleterre. »

Comme le duc parlait, Charles s’arrêta devant la fenêtre qui donnait sur White-Hall, et ses yeux se tournèrent involontairement vers la fatale croisée par laquelle son infortuné père avait été conduit à l’échafaud. Charles était naturellement, ou pour mieux dire réellement brave ; mais une vie passée dans les plaisirs, et l’habitude d’agir plutôt selon les circonstances que suivant la justice, le rendaient incapable de s’exposer au malheur et au martyre qui avait terminé le règne et la vie de son père : et cette pensée anéantit sa résolution à peine formée, de même que la pluie éteint une lumière bienfaisante. Dans un autre homme, une telle vacillation eût paru ridicule ; mais Charles ne pouvait pas perdre, même dans cette circonstance, cette dignité et cette grâce qui lui étaient naturelles autant que son indifférence et sa bonne humeur. « Notre conseil décidera de cette affaire, » dit-il en regardant le duc ; « et soyez assuré, jeune homme, » ajouta-t-il en s’adressant à Julien, « que votre père aura un intercesseur dans son roi, autant du moins que les lois me permettront d’intervenir en sa faveur. »

Julien allait se retirer, lorsque Fenella, avec un regard significatif, lui mit dans la main un papier sur lequel elle avait écrit à la hâte : « Le paquet, remettez le paquet. »

Après un moment d’hésitation, durant lequel il réfléchit que Fenella était l’organe de la volonté de la comtesse, Julien résolut d’obéir. « Permettez-moi, sire, dit-il, de remettre entre vos mains royales ce paquet qui m’a été confié par la comtesse de Derby. Les lettres qu’il renferme m’ont déjà été prises une fois, et je n’ai guère l’espoir maintenant de pouvoir les remettre à ceux auxquels elles sont adressées. Je les place donc dans vos royales mains, certain qu’elles feront triompher l’innocence de la personne qui les a écrites. »